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LOUIS BOUILHET

plètement, à la fois, notre tempérament et notre esprit ; ensuite, il se rencontrera des choses qu’il nous, faudra bien admirer, quels que soient nos goûts et nos habitudes, en dépit de nos préjugés et de la mode.

Déclarer ses goûts, est-ce bien utile pour le critique digne de ce nom ? S’il est vraiment impartial, il s’embarquera hardiment et sans arrière-pensée avec un poëte ou un artiste pour la conquête de la Toison d’or, c’est-à-dire, de la Beauté ou de la Vérité, et il s’en emparera avec empressement, car le Beau ou le Vrai sait bien fixer les regards du chercheur et s’imposer à son attention. Il se reconnaît à l’harmonie des proportions, de la forme et de la couleur.

Quoiqu’il en soit, puisque l’éditeur des « Dernières Chansons » demande au critique une profession de tempérament et de goûts, il y aurait mauvaise grâce à ne pas obéir à cette exigence. Définissons le tempérament et les goûts que nous croyons nécessaires pour étudier aussi impartialement que possible Bouilhet, Bouilhet dont Gustave Flaubert fut l’ami fidèle, et, au besoin le défenseur.

Ce qu’il faut chez le critique, c’est une nature sujette à l’émotion poétique, quelle qu’en soit la source, accessible à toutes les ivresses, à tous les épanouissements de la vie et se laissant traverser comme un prisme par la splendeur du Vrai ; c’est une fougueuse impatience de rencontrer la Beauté, c’est un instinct délicat qui présidera à sa recherche, à sa manifestation et à son exaltation enthousiaste ; c’est enfin une répulsion profonde pour le banal et le convenu.

Avec un pareil tempérament chez son juge, Louis Bouilhet ne saurait manquer d’être apprécié suivant son mérite. Les garanties de bonne justice augmenteraient pour lui, si le critique possédait le goût des Arts, le goût de la Poésie, le goût du Théâtre, le goût de