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SA VIE — SES ŒUVRES.

idylles, des élégies, des odes, des hymnes et des madrigaux prodigués par les Romantiques dans leurs drames. «… Je comprends sans peine, — ajoutait Gustave Planche, — qu’un personnage livré à lui-même, dégagé de tout interlocuteur, parle tantôt sur le ton de l’élégie, tantôt sur le ton de l’ode. Les plus grands maîtres du Théâtre ont enseigné ce que vaut la poésie lyrique dans le monologue. Depuis Eschyle jusqu’à Shakespeare, depuis Sophocle jusqu’à Schiller, nous voyons la forme lyrique utilement employée, toutes les fois qu’il s’agit d’un sentiment qui ne trouverait pas à s’épancher librement en présence d’un témoin ; mais dans le dialogue, dans l’action, les grands maîtres que je viens de nommer se gardent bien de prodiguer les images. Ils usent de la métaphore avec sobriété… » Le vers dramatique doit marcher sans ornements, avec une allure simple, et chanter avec une familiarité mâle et franche. C’est presque une ligne de prose élégante, souple et harmonieuse, mais d’une prose qu’éclaire tout-à-coup un mot poétique heureusement placé ou une image sobre d’agréments et scrupuleusement choisie. De même qu’un seul flambeau suffit à remplir de lumière un appartement, ce mot poétique, cette image sévère suffit pour remplir d’un parfum de poésie le développement d’une pensée entière. Cette simplicité de moyens produit une impression d’harmonie, d’ordre et de clarté. Chez Louis Bouilhet, le vers traîne trop souvent à sa suite un flot d’ornements. Monture emportée, il ne sait pas assez souvent s’arrêter à propos dans sa course brillante. Alors, adieu l’art de marquer d’un trait vif et concis l’intention d’une scène, l’esprit d’un dialogue ! Adieu l’énergie et le naturel ! Il ne peut résister à l’envie de montrer l’exubérance de sa force poétique et d’exécuter une fantasia éblouissante dans un tourbillon de métaphores et d’images. Pour employer une autre comparaison, le poëte laisse mollement flotter sa barque