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LOUIS BOUILHET

au gré des alexandrins, sans souci des écueils voisins, tout enivré de ses accents, au lieu de la diriger vigoureusement comme un vigilant pilote. Un critique[1] raconte qu’un jeune spectateur très-bienveillant disait, le soir de la première représentation de Madame de Montarcy : « quels que soient les défauts de la pièce, cela fait grand plaisir d’entendre pendant quelques heures ce ramage mélodieux. » C’est une des meilleures critiques que l’on puisse faire des productions dramatiques de notre poète. Ses personnages parlent trop comme des poètes, même ceux qu’il a voulu représenter comme rebelles à toute poésie. Entendue ainsi, la poésie dramatique ne tend plus qu’à devenir un langage de convention à proscrire, malgré l’élévation de la pensée, malgré une certaine abondance de vers frappés nettement comme de beaux écus d’or, malgré bien des mots d’une facture cornélienne qui communiquent à toute une situation je ne sais quel air de grandeur et de force.

Ce ne sont point pourtant les conseils qui manquèrent à Bouilhet. La critique qui avait accueilli avec sympathie son début dramatique lui signala comme de véritables écueils les tendances de son style. Bouilhet ne se corrigea point. Et cependant il avait prouvé, dans sa comédie l’oncle Million, que son vers à l’occasion pouvait être simple, sobre, et posséder les qualités qu’on lui demandait. C’est qu’il appartenait, pour ainsi dire rétroactivement, à une école qui n’admet point les transactions. Il ne combattait pas avec des armes forgées par lui ; ses armes étaient prises dans l’arsenal de certains de ses prédécesseurs au Théâtre, et son activité mettait en œuvre un système déjà jugé, propriété exclusive d’un grand poète, au lieu de suivre une pensée supérieure, inspirée par les grands modèles et qui lui fût personnelle.

  1. Émile Montégut.