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LOUIS BOUILHET

celle de son art. Il supporta longtemps avec une dignité fière les entraves de la pauvreté. Peu soucieux de ses intérêts pécuniaires, aussi mauvais calculateur que possible, avant tout il fut artiste et voulut vivre comme tel. De cette vie d’artiste, il connut toutes les espérances et les joies, mais aussi tous les déboires, les débuts humbles et laborieux, les humiliations irritantes, le combat pour le pain quotidien, les demi-réussites, le succès enfin ; il parvenait à la renommée, quand la main de la mort vint le frapper. Certains n’ont jamais de champ trop vaste pour leur activité plus tapageuse que féconde. Ils vont et viennent, se démènent, bourdonnent ça et là ; ils sont partout et ne sont nulle part. Ils veulent surtout paraître. Ils suscitent des admirateurs, les invitent à prendre leur mesure, écrivent des autobiographies et provoquent des études et critiques laudatives sur commande. Les journaux ne sont pas assez larges pour eux, les vitrines des boulevards ne sont pas assez nombreuses pour contenir leur portrait. Cette fièvre de célébrité, cette agitation stérile, cette ostentation brouillonne, ce charlatanisme et cette réclame furent toujours particulièrement odieux à Bouilhet. Pour lui, aussi bien que pour l’un de nos grands poètes, tout appareil de ce genre autour d’un nom était « comme un tréteau autour d’une statue, comme une baraque au pied d’un temple »,[1] il aimait la province ; sa modestie y était plus à l’aise qu’à Paris. Il y vivait cloîtré dans l’étude, presque solitaire, c en vrai cénobite de la poésie »[2]. Sans la préface que M. Gustave Flaubert a mise en tête des Dernières Chansons et sans les pages que M. Maxime Ducamp lui a, en passant, consacrées dans ses Souvenirs littéraires, son portrait serait bien simple et bien idéal, et il ne serait guère facile de retracer

  1. Sainte-Beuve, Alfred de Vigny.
  2. Paul de Saint-Victor.