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SA VIE — SES ŒUVRES

quelques traits de sa figure avec les lignes et les couleurs qu’il a pu fournir dans ses poésies. Tant il eut le génie de la modestie !

Cette modestie permet d’expliquer l’écart considérable qui existe entre la grandeur de son talent et sa renommée. S’il cultivait l’amitié, il négligeait la camaraderie littéraire ; il ne frayait point d’ordinaire avec les journalistes parisiens. Le succès de nos jours, il faut bien l’avouer, a sa cuisine, si l’on peut ainsi parler ; elle n’a point été étrangère à certains grands esprits du siècle.[1] Bouilhet eut toujours pour elle la plus profonde aversion. C’était dans la solitude, loin du fracas de la grande ville, du bruit de ses théâtres, des mille clameurs de ses journaux qu’il travaillait. Dès qu’une œuvre était achevée, dès qu’elle était publiée, il retournait dans sa thébaïde pour se mettre à un nouveau travail. Cet amour de la solitude aussi bien que sa venue tardive à Paris ne furent point sans lui nuire. Son talent incontestable ne put s’affiner et s’assouplir complètement comme il l’aurait fait, s’il avait vécu tout jeune de la vie active et enfiévrée de Paris. Bouilhet devenu parisien jusqu’au bout des ongles eut secoué je ne sais quel embarras, je ne sais quelle gaucherie, je ne sais quelle pompe de convention qui se devine dans son théâtre.[2] Sa main si habile quand il s’agissait de ciseler ses poésies détachées eût acquis plus de dextérité pour équilibrer et finir une pièce, et sa touche eut été plus légère, quand il aurait modelé ses personnages.

Cet isolement qui semblait plaire au poëte n’a pas été non plus sans faire sentir son influence sur l’inspiration et la nature même de sa poésie. La grande école de l’expérience lui a manqué. Il ne s’est pas assez mêlé aux hommes et ne les a pas assez étudiés ; son horizon s’est

  1. M. Jules Levallois.
  2. M. Guy de Maupassant.