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LOUIS BOUILHET

hante les galets officiels me gâte beaucoup l’onde salée.

» Ces vagues-là font patte de velours et laissent les Parisiennes leur passer la main sur le dos ! J’aime mieux une bonne vieille baie moins connue, un de ces villages fossiles où il faut plus de génie pour trouver un gigot de mouton que pour sauver un empire. Je me plais là, en pensée surtout. Car, malheureusement, je ne voyage guère, ce qui ne veut pas dire que je n’irai jamais te serrer la main à Dieppe ; mais je n’irai pas à cause des bains, voilà ce que je voulais dire.

» Je te félicite des compliments mérités que t’a adressés le recteur. Je te félicite encore plus de ta réponse et de la haute sagesse de tes goûts. Si tu te trouves bien à Dieppe, tu aurais grand tort de changer. J’envie ton bonheur. Tu as gardé la gaîté d’autrefois. Tu sais être heureux, c’est la grande science. Sais-tu que je suis fier d’avoir pour ami intime un philosophe, dans le vrai et bon sens du mot ?

Suave, mari magno, turbantibus aequora ventis,
A terra magnum alterius spectare laborem !

» J’ai aussi rêvé la tranquillité dans mon coin. J’y arriverai peut-être. Je me suis donné parfois bien du mal pour la perdre. Est-on bête !…

» Le papa Clogenson[1], qui court comme un lièvre, avec soixante-dix-huit ans sur le dos, me disait l’autre jour : « C’est étrange !… on est une éternité au collège ; puis, sorti de là, on a soixante ans tout de suite ! »

» C’est assez vrai. L’étude allonge la vie : l’action la dévore[2]. »

Faustine, dont il est question dans cette lettre, reçut du public un médiocre accueil à la Porte-Saint-Martin

  1. M. Clogenson était conseiller honoraire à la Cour d’appel de Rouen,
  2. Souchières, Nouvelliste de Rouen du 23 août 1882.