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LOUIS BOUILHET

seul, j’ai fait mon paquet, je t’ai expédié la nouvelle, j’ai été la dire à Duplan, qui était au milieu de ses affaires ; puis j’ai battu le pavé jusqu’à une heure, et il faisait chaud, dans les rues autour du chemin de fer. De Paris à Rouen, dans un wagon rempli de monde, j’avais en face de moi une donzelle qui fumait des cigarettes, étendait ses pieds sur la banquette et chantait. En revoyant les clochers de Mantes, j’ai cru devenir fou, et je suis sûr que je n’en ai pas été loin. Me voyant très pâle, la donzelle m’a offert de l’eau de Cologne. Ça m’a ranimé, mais quelle soif ! Celle du désert de Qoseir n’était rien auprès. Enfin, je suis arrivé rue Bihorel ; ici je t’épargne les détails. Je n’ai pas connu un meilleur cœur que celui du petit Philippe. Lui et cette bonne Léonie ont soigné Bouilhet admirablement. Ils ont fait des choses que je trouve propres. Pour le rassurer, pour lui persuader qu’il n’était pas dangereusement malade, Léonie a refusé de se marier avec lui, et son fils l’encourageait dans cette résistance. C’était si bien l’intention de Bouilhet qu’il avait fait venir tous ses papiers. De la part du jeune homme surtout, je trouve le procédé assez gentleman.

» Moi et d’Osmoy, nous avons conduit le deuil. Il a eu un enterrement très-nombreux. Deux mille personnes au moins ! Préfet, Procureur Général, etc., toutes les herbes de la Saint-Jean ! Eh bien, croirais-tu qu’en suivant son cercueil je savourais très-nettement le grotesque de la cérémonie ? j’entendais les remarques qu’il me faisait là-dessus ; il me parlait en moi, il me semblait qu’il était là, à mes côtés, et que nous suivions ensemble le convoi d’un autre.

» Il faisait une chaleur atroce, un temps d’orage. J’étais trempé de sueur, et la montée du Cimetière Monumental m’acheva. Son ami Caudron avait choisi son terrain tout près de celui du père Flaubert. Je me suis