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SA VIE — SES ŒUVRES

Paris, X…, de Rouen, Morel, l’aliéniste, et un brave pharmacien de ses amis, nommé Dupré. Bouilhet n’osait pas demander une consultation à mon frère, se sentant très-malade, et ayant peur qu’on ne lui dît la vérité. P… l’a envoyé à Vichy, d’où Villemin s’est empressé de le renvoyer vers Rouen. En débarquant à Rouen, il a enfin appelé mon frère. Le mal était irréparable, comme du reste Villemin me l’avait écrit.

» Pendant ces quinze derniers jours, ma mère était à Verneuil, chez les dames V…, et les lettres ont eu trois semaines de retard. Tu vois par quelles angoisses j’ai passé. J’allais voir Bouilhet tous les deux jours, et je trouvais de l’amélioration. L’appétit était excellent, ainsi que le moral, et l’œdème de ses jambes diminuait.

» Ses sœurs sont venues de Cany lui faire des scènes religieuses et ont été tellement violentes qu’elles ont scandalisé un brave chanoine de la Cathédrale. Notre pauvre Bouilhet a été superbe, il les a envoyées promener. Quand je l’ai quitté pour la dernière fois, samedi, il avait un volume de Lamettrie sur sa table de nuit, ce qui m’a rappelé mon pauvre Alfred[1], lisant Spinoza. Aucun prêtre n’a mis le pied chez lui. La colère qu’il avait eue contre ses sœurs le soutenait encore samedi, et je suis parti pour Paris avec l’espoir qu’il vivrait encore longtemps. Le dimanche, à cinq heures, il a été pris de délire et s’est mis à faire tout haut le scénario d’un drame du Moyen-Age sur l’Inquisition ; il m’appelait pour me le montrer, et en était enthousiasmé, puis, un tremblement l’a saisi, il a balbutié : Adieu ! adieu ! en se fourrant la tête sous le menton de Léonie, et il est mort très-doucement.

» Le lundi matin, mon portier m’a réveillé avec une dépêche m’annonçant cela en style de télégraphe. J’étais

  1. Alfred Le Poitevin.