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LOUIS BOUILHET

énergie extrême. L’univers va bientôt recevoir son maître. Le maître paraît. Il y a là un tableau sobrement brossé avec des couleurs éclatantes. C’est de la grande poésie servie par un vers plus plein et plus spacieux que d’usage, soufflé d’un seul jet, pour parler comme Sainte-Beuve.

Ces qualités de facture tendent à disparaître, quand le poëte s’élève à la conception d’une humanité supérieure : on entend comme un cliquetis de mots nombreux et d’une sonorité brillante où la pensée flotte indécise. Les voiles de l’Avenir ne se laissent pas impunément entrouvrir, et l’on comprend sans peine que le poëte aît été ébloui lui-même et quelque peu aveuglé par la lumière qu’il découvrait, hardi explorateur ! après avoir plongé dans les ténèbres et le chaos du passé.

En appréciant le style des Fossiles aux bons endroits, nous évoquions le souvenir de Lucrèce. Lucrèce ! un tel nom comme un écho renaissant sans cesse semble encore résonner pour attirer l’attention. Toutes les fois qu’un poëte chante la Nature, Lucrèce, le souverain pontife de son culte, appelle la comparaison et la discussion. — Quelle curieuse étude l’on ferait si l’on voulait rapprocher le poème de natura rerum, des Fossiles. Bouilhet s’est visiblement inspiré du cinquième livre. Chez lui, lorsque la pensée est bien nette, et chez son modèle, c’est, sinon la même hardiesse, au moins la même magnificence, la même vérité de couleur dans la description. Ce n’est pas ici la place d’établir une comparaison entre la science des deux poètes, mais on pourrait montrer que leurs théories physiques et leur sociologie ne sont pas sans avoir quelques points de contact. Par moments, on dirait que l’auteur des Fossiles a voulu dans la précision de son langage scientifique rivaliser avec le vieux poëte latin. Lucrèce n’a pas mieux dit que Bouilhet, par exemple :