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LOUIS BOUILHET

qu’il sait développer dans un langage harmonieux. Le vers qui tout à l’heure prenait plaisir à tourner un madrigal, à décrire une pagode ou une potiche chinoise quitte sans regret le monde des formes, des sons et des couleurs, pour se mettre au service d’une pensée élevée ou d’un sentiment profond et personnel[1].

Le lyrisme de Bouilhet ne ressemble alors ni à celui de Lamartine, ni à celui d’Hugo, ou d’Alfred de Musset. Tout en suivant les traditions des Romantiques, le poëte ne s’est pas voué au culte exclusif de tel ou tel maître de l’art ; chez lui, il n’y a point de système. Moitié lyrique, moitié élégiaque, il est, si l’on veut, éclectique, dans sa manière de présenter les idées et les sentiments, de coordonner la phrase et de combiner les rhythmes. — Éclectique, dira-t-on. Le mot est peut-être bien solennel pour apprécier des poésies. — S’il est juste, tant pis pour ceux qui le penseront. En tout cas, cet éclectisme ne fut point un mélange confus des genres ; il fut celui d’un maître servi par un goût exquis. Le poëte moissonna prestement de ci, de là, il fit sa gerbe tantôt d’un côté, tantôt d’un autre ; mais il fit sa gerbe.

Ce qui manque surtout à la nouvelle génération des poëtes, c’est d’être jeunes et variés. Les qualités maîtresses de Bouilhet furent la jeunesse, la variété, la perfection dans la forme et surtout l’absence de prétentions. C’est peut-être là qu’il faut chercher le secret du charme de ses poésies. On est frappé de la multiplicité des sujets qui ont tenté son inspiration. Chez tel poëte, c’est la note philosophique qui domine ; chez tel autre, c’est un sentiment très-vif de la nature. Certains semblent se replier sur eux-mêmes, et faire de leur esprit et de leur cœur le centre où tout se rapporte. C’est une affaire de tempérament ou quelquefois de système. L’œuvre de

  1. Dernière Nuit, la Fleur rouge, etc.