Page:Angot - Louis Bouilhet, 1885.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
SA VIE — SES ŒUVRES

ces poètes prend un caractère marqué d’unité qui permet parfois à une originalité profonde de se faire jour ; mais il en résulte trop souvent quelque monotonie. Avec Bouilhet nous n’avons pas à redouter pareil écueil. Sa verve coule à pleins bords, de ci, de là, comme une source jaillissant de cent côtés à la fois. Il pourrait justement s’écrier avec Térence :

… Plenus rimarum sum ; hâc atque illâc
Perfluo · · · · · · · · · ·

Comme une abeille, sa muse butine à droite, à gauche, par ci, par là. Lui-même, il veut bien nous apprendre qu’il n’a jamais connu d’autre guide que la Fantaisie. Il nous le dit sans façon en se proclamant un Soldat libre[1] :

Soldat libre, au léger bagage,
J’ai mis ma pipe à mon chapeau,
Car la milice où je m’engage
N’a ni cocarde ni drapeau.

La caserne ne me plaît guère,
Les uniformes me vont peu ;
En partisan, je fais la guerre,
Et je campe sous le ciel bleu.

La Liberté, que l’on croit morte
Pour quelques heures de sommeil,
Près de moi se chauffe à la porte
De ma tente ouverte au soleil.

Je suis sourd an clairon d’un maître,
La consigne expiré à mon seuil ;
Nul, hormis Dieu, ne peut connaître
Ce grand secret de mon orgueil.

Parmi les champs de poésie
Je fourrage sans mission ;
Le capitaine est Fantaisie,
Le mot du guet « Occasion ! »

Et loin de la poussière aride
Où sont marqués les pas humains,
Je cours sur un cheval sans bride,
Dans des campagnes sans chemins !…

  1. Soldat libre.