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LOUIS BOUILHET

… Car c’est pour vous, ô vers, que croissent les familles,
Ainsi que les troupeaux parqués dans les vallons…

Cette idée de la mort revient souvent chez le poëte. Faut-il rappeler ce rêve symbolique intitulé Ceux qui viennent, où Louis Bouilhet s’est rencontré avec Bossuet dans une même allégorie ? Surprenante alliance de deux esprits si éloignés l’un de l’autre par la trempe et les années ! Voyez d’ici cette armée de pygmées qui sort des berceaux et nous entraîne vers le tombeau, cette bande incalculable et vagissante de guerriers en bourrelet qui s’avance en criant : « Notre heure est venue ? à nous la terre des vivants ! » — Relisez le premier point du Sermon sur la mort, vous y trouverez la même image. «… Cette recrue continuelle du genre humain, je veux dire les enfants qui naissent, à mesure qu’ils croissent et qu’ils s’avancent, semble nous pousser de l’épaule et nous dire : « Retirez-vous, c’est maintenant notre tour !… »

La mort, cet énigmatique dénoûment de toute vie tourmente le poëte. Tantôt il y songe en philosophe ; tantôt, véritable artiste, il s’en sert de la façon la plus variée, pour faire contraste avec la vie, l’amour et ses plaisirs[1] dont les échos vibrent dans ses strophes. La vie ! la mort !… — Antithèse ! — Et l’antithèse n’est-ce pas là un des signes de la manière des Romantiques ? Bouilhet aurait bien garde d’oublier ce procédé de composition. Cette recherche de l’antithèse se devine surtout dans le nid et le cadran ; elle apparaît dans la Berceuse philosophique, Ceux qui viennent ; elle éclate dans la fille du fossoyeur, au refrain sinistre comme celui d’une ballade allemande. Pendant que le vieux fossoyeur creuse ses fosses au crépuscule, sa fille donne des rendez-vous au cimetière. Elle est jeune, elle

  1. Chanson d’amour. — Double incendie. — À une femme.