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LOUIS BOUILHET

L’effet est peut-être trop cherché, mais il est puissant. Cette opposition de la vie et de la mort, des fleurs et des tombes, de l’amour délirant et de l’oubli, de la jeunesse d’un jour et de l’Éternité s’accuse avec un grand relief dans cette sorte de ballade. La strophe nous montre une belle jeune fille rieuse et folle, un lieu de rendez-vous aux frais ombrages ; le vers se parfume de la senteur des œillets, des lilas et des roses ; il résonne du bruit des chansons et des baisers. C’est la vie !… — Toc ! toc ! toc ! C’est la mort. Néant que tout cela ! L’Éternité on l’oublie ; le fossoyeur est toujours là qui nous attend. Toc ! toc ! toc ! Quel sinistre refrain ! Il ne faut pas montrer ce que la composition de ce petit poëme peut receler d’artifices littéraires ; ce serait mal de la part du critique d’insister sur ce point, quand il a été charmé. Il s’exposerait ajuste titre à passer pour un philistin et à dédaigner à son tour les belles pièces que lui offre le poëte aux étoiles. Écoutons plutôt encore cette légende :

Comme il n’avait pas dîné,
Comme les bourgeois honnêtes
Tout le jour avaient berné
Le faiseur de chansonnettes,

Triste et pâle, sur le soir,
Prêt pour la dernière épreuve,
Loin du monde, il vint s’asseoir
Et chanter au bord du fleuve.

Il chanta les longs tourments
De l’amour et de la gloire,
Et son hymne, par moments.
Faisait tressaillir l’eau noire.

Soudain par l’ordre d’un dieu,
Les étoiles attendries
S’arrêtèrent, au milieu
De leurs blanches théories ».