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SA VIE — SES ŒUVRES



Puis il les vit sans effort
Glissant des voûtes profondes,
Comme de grands sequins d’or,
Trembler, dans l’eau, toutes rondes.

Il y plonge, il veut savoir…
prodige !… il en prend une,
Puis deux, puis quatre… et bonsoir
Les soucis de l’infortune !

Il revient tout radieux
Vers les villes où nous sommes ;
Avec le billon des dieux
On peut bien solder les hommes.

Son frac noir, aujourd’hui roux,
Fort peu payé, sans reproches,
Semblait, à travers les trous,
Porter le ciel dans ses poches.

Il va chez le boulanger :
« — Prends cet astre, et sers-moi vite !… »
« — Compagnon, va le changer,
Ma galette n’est pas cuite. »

À la taverne du coin
Il fait briller sa pécune :
« — Camarade, on n’ouvre point
À ceux qui portent la lune. »

Sans chemise par dessous.
Il sonne au marchand de toiles :
« — L’ami, je veux des gros sous.
« Tu peux garder tes étoiles ! »

Les savants de l’Institut
Prirent de grands airs revêches ;
L’un sourit, l’autre se tut :
Ils ne les trouvaient pas fraîches !

Il mourut le lendemain,
Aiglon né chez les reptiles.
Maigre et serrant dans sa main
Ses étoiles inutiles !…

Moi, j’allais je ne sais où,
J’ai croisé ce convoi sombre ;
Deux amis qui l’ont cru fou,
En riant suivaient son ombre.