Aller au contenu

Page:Anicet, Masson - Les Quatre Fils Aymon, 1849.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les Mêmes, ABOUL-MULEY.
MOSOUL.

Le cadi !

TOUS, s’inclinant.

Le cadi !

RICHARD, tenu par des gardes.

Je demande justice !

ABOUL-MULEY.

Plus tard, mon ami, plus tard ! (Au peuple.) Grande nouvelle, mes enfants… le sublime Haraoun-al-Raschid, retiré dans son palais d’été, a nommé un successeur au traître Giafar… Le nouveau grand-vizir arrive… (Bruit d’une marche et des acclamations de la foule.) Entendez-vous ces cris, ces acclamations ! ils annoncent son entrée dans Bagdad !…

RICHARD.

Il faudra bien que celui-là m’entende !…


Scène XX.

Les Mêmes, Gardes, Porte-Étendards, Almées, Esclaves noirs, puis RENAUD, revêtu du costume oriental et à cheval. Il est accompagné de seigneurs musulmans et suivi par le peuple ; l’arrivée de Renaud forme une marche triomphale.
ABOUL-MULEY.

Honneur et gloire au vizir !

TOUS, excepté Richard.

Honneur et gloire au grand vizir !

LE POURVOYEUR.

Justice contre l’infidèle !

TOUS.

À mort l’infidèle !

RICHARD, s’avançant vers Renaud.

Tu me dois protection… j’ai voulu défendre mon droit !

RENAUD.

Que cet homme soit libre !

GRIFFON, surpris.

Messire Renaud !

RICHARD.

Mon frère !

RENAUD.

Voici le firman du calife qui nous place tous deux au-dessus de la loi, et qui ordonne qu’une esclave chrétienne, nommée Odette, nous soit rendue en quelque main qu’elle se trouve. (Le Pourvoyeur s’incline.)

ABOUL-MULEY, prenant le firman des mains de Renaud.

Sublime vizir, je vais chercher moi-même celle qui vous intéresse. (Renaud descend de cheval.)

RICHARD.

C’est toi que je retrouve ainsi !

GRIFFON.

C’est saint Bonaventure qui nous vaut ça.

RENAUD.

Nous le devons à notre épée, Richard.

RICHARD.

Elle t’a fait grand-vizir.

RENAUD.

J’ai refusé le titre… mais j’ai dû pour un jour en accepter les droits et les honneurs.

RICHARD.

Comment se fait-il ?

RENAUD.

Ce vieillard protégé par nous… c’était Haraoun lui-même… Il avait raison de réclamer encore notre secours, pour le chemin qu’il lui restait à faire. Ses assassins revenus plus nombreux nous attaquèrent, comme nous allions atteindre le terme de notre voyage… Tu n’étais plus là, Richard… j’ai frappé pour deux, et c’est sur les cadavres des meurtriers que j’ai frayé au calife un sanglant passage… En reconnaissance du service que je lui ai rendu, Haraoun nous comble de richesses, de présents, et met à notre disposition le plus beau navire de sa flotte… Tu le vois, notre tâche s’accomplit ; c’est en esclave qu’Odette a quitté la France… c’est en reine qu’elle y rentrera.

GRIFFON.

Et je n’aurai plus rien à porter.

RICHARD.

Nous aurons tenu notre parole et nos frères seront sauvés.

RENAUD.

Mais notre protégée, notre sœur… où est-elle ?

RICHARD.

Dans ce palais… tu vas la voir… Tiens, on nous la ramène. (À Aboul-Muley qui paraît.) Eh bien, cette jeune fille ?…


Scène XXI.

Les Mêmes, ABOUL-MULEY.
ABOUL-MULEY.

À peine entrée au harem, la jeune chrétienne s’est précipitée dans le fleuve… et l’on n’a vu flotter que son voile. (Il le montre.)

RENAUD.

Malheur !

RICHARD.

Le fleuve est là… Oh ! je la sauverai, frère, ou je mourrai avec elle ! (Il s’élance vers le fond.)



ACTE IV.


Le théâtre représente l’intérieur d’une salle basse du château de Maugis.


Scène I.

MAUGIS, ROLAND, RAOUL, Chevaliers, Gardes, Peuple. (Au lever du rideau, Maugis entouré de chevaliers est assis. Son secrétaire est à une table et tient un parchemin. Raoul et Roland sont debout devant Maugis et gardés par des hommes d’armes. Au fond de la salle, hommes et femmes du peuple.)
MAUGIS.

Fils du comte Aymon, le délai d’un an accordé par le roi à vos frères est expiré… Ils ne sont point de retour, et celle qu’ils s’étaient engagés à retrouver n’a pas reparu. Fidèle à sa parole, Charlemagne vous livre à ma justice. Vous venez d’entendre prononcer votre sentence, n’avez-vous rien à dire à vos juges ?

RAOUL et ROLAND.

Non.

MAUGIS.

Je suis maintenant l’arbitre de votre sort. L’outrage que j’ai reçu de vous justifierait ma vengeance. Mais je puis, je veux être clément, si vous vous montrez humbles et sincères. Reconnaissez que vous avez menti ?

RAOUL.

Nous avons dit la vérité.

MAUGIS.

Songez que votre supplice s’apprête, avouez que vos frères et vous obéissiez à une méchante et ambitieuse pensée en m’accusant d’imposture.

ROLAND.

Nous avons dit la vérité.

MAUGIS.

Ainsi, vous ne voulez pas reconnaître que celle que j’ai présentée à Charlemagne était sa véritable fille ?

RAOUL.

Nous attestons, au contraire, qu’Odette nous a été ravie par vous et les vôtres, vous substituer à sa place une étrangère, votre complice. Vous nous menacez de la mort, nous l’attendions, puisque nous avions offert notre sang en garantie de la parole et du retour de nos frères.

MAUGIS.

Reconnaissez votre mensonge, votre erreur si vous voulez… et vous vivrez.

ROLAND.

Nous reconnaissons que le terme est expiré, et que nous devons mourir. (Murmure d’admiration dans le peuple.)

MAUGIS.

Vous admirez leur courage, n’est-ce pas ?… mais ce courage apparent n’est qu’une fausseté de plus. S’ils parlent ainsi, c’est qu’ils ont foi l’un et l’autre dans je ne sais quel talisman qui doit les sauver de la hache du bourreau. (Murmure d’incrédulité.)

RAOUL.

Cet homme a dit vrai. Oui, mon frère et moi nous portons au doigt un anneau, dernier présent de notre mère bien-aimée… Cet anneau nous protégerait peut-être au moment du supplice ; mais les fils Aymon acquittent loyalement leur dette. Ils ont promis de mourir pour l’honneur de leur parole… ils mourront… Voici mon anneau. (Il le pose sur la table.)