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Page:Anicet, Masson - Les Quatre Fils Aymon, 1849.djvu/25

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ROLAND, posant aussi son anneau sur la table.

Voici le mien. Ô ma mère ! vous n’auriez pas voulu sauver vos fils au prix d’un parjure !… Nous n’avons plus maintenant de talisman contre la mort. Baron de Maugis, tu as menti à Dieu et aux hommes… nous le jurons devant Dieu !…

RAOUL.

Et devant les hommes !

ROLAND.

Qu’à présent ton bourreau vienne nous prendre, nous sommes prêts.

MAUGIS.

Vous avez une heure pour prier et vous repentir. (Sur un signe de Maugis, les gardes repoussent le peuple par la droite. Maugis et les chevaliers sortent par la gauche.)

RAOUL, ROLAND.
RAOUL.

Une heure… il nous accorde une heure… Je ne l’aurais pas cru si généreux… À quoi penses-tu, Roland ?

ROLAND.

À nos frères.

RAOUL.

Tu ne doutes pas d’eux, n’est-ce pas ?

ROLAND.

Douter de Richard et de Renaud… moi ?… Je prie pour eux, s’ils sont morts… je pleure sur eux, s’ils sont vivants. Pauvres frères !… qui leur pourra dire alors que, jusqu’à notre dernière heure, nous les avons aimés et bénis ?…

RAOUL.

On n’osera pas nous bâillonner comme de vils criminels… Eh bien, au pied de l’échafaud, nous crierons à ce peuple qui voudra voir comment meurent les fils Aymon, nous lui crierons : Soyez témoin qu’en plaçant notre tête sous ce glaive, nous déclarons tenir Richard et Renaud pour de bons et féaux chevaliers. On vient à nous.

RAOUL.

Le bourreau, sans doute.


Scène III.

Les Mêmes, AMAURY, en costume d’homme du peuple.
AMAURY, entrant mystérieusement et à demi-voix.

Le bourreau est mort.

RAOUL et ROLAND.

Mort !

AMAURY.

Je l’ai tué !

RAOUL et ROLAND.

Amaury !

AMAURY.

Oui, Amaury, qui n’a plus qu’une pensée… vous sauver, car il faut que vous viviez pour m’aider à retrouver et défendre Odette.

RAOUL et ROLAND.

Odette !

RAOUL.

Mais Renaud…

ROLAND.

Richard…

AMAURY.

Sont encore loin de la France… ou sont morts… il faut donc que vous viviez, vous, les frères, les protecteurs d’Odette. Le peuple qui vous aime et vous admire, attribue à une intervention divine, à un miracle, la mort de l’exécuteur, et, j’en réponds, Maugis ne trouvera pas de tourmenteur pour remplacer le misérable qui est tombé sous mes coups.


Scène IV.

Les Mêmes, ÉVRARD, Hommes d’Armes.
ÉVRARD.

L’heure est écoulée…

AMAURY.

Le bourreau !

ÉVRARD.

A été assassiné, mais d’autres se sont présentés.

AMAURY.

Malheur ! malheur !…

ROLAND.

Ta main, frère.

RAOUL.

La voilà… marchons !…

AMAURY, à part.

Les sauver ou mourir ! (Il sort par la droite et les frères Aymon par la gauche, sous l’escorte des hommes d’armes.)

(Le théâtre change et représente une forêt éclairée par le soleil couchant. Une éclaircie au milieu de laquelle s’élève un arbre séculaire ; au pied de cet arbre un billot, près du billot une hache. — Au changement à vue toutes les avenues de la forêt sont pleines de peuple que contiennent à peine les hommes d’armes.)

Scène V.

RAOUL, ROLAND, ÉVRARD, Hommes d’Armes, Peuple.
LE PEUPLE.

Ah ! ah ! ah ! les voilà !

LES HOMMES D’ARMES.

Place ! place !

ÉVRARD.

Laissez passer la justice de notre seigneur et maître.

UNE JEUNE FILLE.

Si jeunes, si beaux, et mourir !

UN HOMME.

Ils ne mourront pas… le bourreau à disparu.

LA JEUNE FILLE.

On en a trouvé d’autres, à ce qu’on dit. (À ce moment Raoul et Roland paraissent ; ils ont les mains liées.)

RAOUL, bas à Roland.

As-tu reconnu dans la foule Amaury ?

ROLAND.

Oui, le malheureux se perdra peut-être.

RAOUL.

La chaleur est étouffante. (À l’Homme du peuple.) Bonhomme, veux-tu me passer ta gourde ?

L’HOMME.

Certes, messire. (Il la lui donne.) Elle est pleine.

RAOUL.

De vin ?

L’HOMME.

Oui, messire.

RAOUL.

Est-il bon ? (Il boit.) Oui, vraiment… Allons, je bois à la santé de mes frères. (Après avoir bu, à Évrard.) Où sont donc vos bourreaux, capitaine ?

L’HOMME DU PEUPLE.

Dieu protége les fils Aymon ; les bourreaux ne viendront pas.

ÉVRARD.

Les voici ! (On voit alors venir du fond, à travers les arbres, deux hommes vêtus de longues robes rouges, la tête couverte à demi des pans de leurs longs manteaux, rouges comme leurs robes.)


Scène VI.

Les Mêmes, LES DEUX BOURREAUX. (La foule s’écarte avec terreur devant ces deux hommes qui s’avancent lentement et silencieusement.)
RAOUL.

Pardieu, Roland, je finirai par me laisser aller au péché d’orgueil !… Enchaînés et résolus à mourir, nous imprimons encore si grande terreur à nos ennemis, que Maugis n’a pas osé assister à notre supplice, et que, pour nous frapper, les bourreaux se voilent le visage. (L’un des exécuteurs fait signe au peuple de s’écarter pour faire une place plus grande. Le peuple recule.)

ROLAND.

Pourquoi ces liens, ces entraves ? Oh ! nous ne voulons pas nous défendre, mais nous sérions heureux de mourir les mains libres. (Les deux exécuteurs font tomber les liens qui attachaient les mains de Roland et de Raoul.)

RAOUL et ROLAND.

Merci.

RAOUL.

Et maintenant que notre heure est venue, nous déclarons que notre dernière pensée, notre dernier soupir sera pour nos frères.

ÉVRARD.

Vos frères ne vous ont-ils pas lâchement abandonnés ?

ROLAND.

Nos frères sont morts… Sans cela, eussent-ils dû braver mille dangers, renverser mille obstacles, ils seraient venus à Charle-