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––––––––––Ah ! de bonheur
––––––––––Je vers’ des larmes !…
––––––––––Son frère d’armes,
–––––––––Le vent sur son cœur.
PASCAL.

Mon ami, mon sauveur !

CHAMBORD.

Laisse-moi toucher ton uniforme… Oh ! il sent encore la poudre, Mina !

PASCAL.

Mina !

CHAMBORD.

Oh ! tu la connais aussi… c’est la petite au coup de fusil… c’est ma femme.

PASCAL.

Ta femme… Mina… oh ! je me souviens, elle était près d’elle… toujours près d’elle, autrefois. (Il l’embrasse.) Chambord, viens ici, à côté de moi, tout près, là… Chambord, tu as pris ma place quand il s’agissait de marcher à la mort… Oh ! je l’ai su… trop tard.

CHAMBORD.

Le fait est qu’une demi-heure de plus, et fini… on m’envoyait quinze noyaux de pèche dans la poitrine ou ailleurs, fallait les loger.

PASCAL.

Ah !

CHAMBORD.

Je devais être fusillé à la fraîche, j’en avais fait mon deuil, et je me disais : Pascal à ma place eût agi comme moi. Avant que le jour fût venu, j’entendis du bruit à la porte de ma prison. Allons, que je me dis, on ne veut pas me faire les honneurs du soleil ; et je bâclais ma dernière toilette, on ouvre la porte… et une femme, un ange, madame, que tu vois, me saisit par le bras, me fait traverser tous les camarades qui dormaient…

PASCAL.

Ils dormaient ?

CHAMBORD.

C’est-à-dire, ils fermaient les yeux de bonne amitié, à mon intention. Mina me jette en voiture, et ait galop, disparu, éclipsé !

PASCAL.

Ah ! Mina ! vous m’avez épargné un grand remords !

CHAMBORD.

D’un seul trait, nous allons dans le fin fond de l’Allemagne…. V’là une ferme à exploiter, qu’on me dit… à bas l’uniforme, place au sarreau de paysan. Je grillais de retourner au feu avec vous autres ; mais, pas moyen !… aussitôt pris… escofié !… Alors je me casernai dans la ferme avec Mina, qui essaya de me faire oublier mon pays et mon régiment. Forcé de manier la charrue au lieu du fusil, je coupai mes moustaches, je cachai mon vieil habit, et, un beau jour, je me surpris sortant de l’église, avec une femme à mon bras, j’étais marié !

Air : Honneur…
––––Je v’nais d’ changer de drapeau, d’ fourniment.
––––Dans les maris j’ prenais mes invalides,
––––V’là dix-sept ans que j’ suis dans c’ régiment,
––––Pour mes servic’s, je m’ dis, les yeux humides :
––––La France au bras m’aurait mis trois chevrons,
––––Madam’ Chambord m’a donné six garçons !
––––Pour m’empêcher de r’gretter mes chevrons,
––––Ell’ m’a donné six énormes garçons !
PASCAL.

Marié… il s’est marié, lui !…

CHAMBORD.

Mais, quoique Allemand par force, j’était toujours Français… je parle toujours français, ma femme aussi, mes enfans aussi ; quand ils disent mein herr, je leur donne le fouet… Oh ! je pensais bien à toi, aux camarades ; au pays, à Paris ; à la rue aux Ours, où je vis le jour… et le soir donc en famille, je lisais les gazettes. A chaque victoire, oh ! que j’étais fier ! il me prenait des idées de courir après vous et de vous crier : Ne prenez pas tout ! laissez-m’en un peu !… Ces jours-là je me couchais en fureur, je rêvais batailles, chevaux, pyramides ; mais le lendemain, au réveil, en embrassant ma femme, mes mioches, j’étais bien forcé de dire : Je suis bourgeois, plus de troupier !… et pour en finir une bonne fois, j’ai brûlé mon vieil uniforme… oui, je l’ai brûlé… je n’en ai gardé que les boutons… ils sont là, tiens.

Il montre sa poitrine.

PASCAL.

Et c’est moi, Chambord, qui suis cause…

CHAMBORD.

Dis donc ? on t’a fait là une fameuse gravure tout de même ?

PASCAL.

Oh ! oui, c’est un coup de sabre qui m’a valu… deux mois d’hôpital.

CHAMBORD.

A-t-il de la chance ! Pauvre vieux !… tu ne pourras plus en envoyer maintenant des coups de moulinet… 1814 a donné le bal à 1800… Scélérate d’année, va !… et le Petit… il est là-bas, n’est-ce pas, à la demi-solde ?

PASCAL.

Oui, avec les fidèles.

CHAMBORD.

Seulement, t’as pas été heureux, Pascal… tu n’es pas revenu général, mon garçon.

PASCAL.

Après le licenciement de la Loire, j’ai demandé une feuille de route… et, seul… j’ai traversé la France, l’Allemagne ; je ne me suis arrêté que ce matin, devant ce château… Oh ! je l’ai reconnu tout de suite !

CHAMBORD.

Ah çà, qui donc que tu venais chercher ici ?

PASCAL.

Elle…

CHAMBORD.

Qui, elle ?

PASCAL.

Mais, elle… Wilhelmine.

CHAMBORD.

Wilhelmine !

MINA, à part.

Oh ! mon Dieu ! il ignore…