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PASCAL.

Ah ! je l’aimais bien, vois-tu ?… elle seule m’a fait supporter les fatigues, la misère ; je serais mille fois mort sans son souvenir !

Air du Château perdu.
Tant qu’ la victoire, à nos drapeaux fidèle,
Ouvrait d’vant nous un glorieux avenir,
Je me disais : Elle est noble, elle est belle,
Pauvre soldat ! tâche de t’anoblir.
Puis, dans nos r’vers, au plus fort du carnage,
Quand d’ désespoir j’étais près d’en finir,
Je me disais : Allons, vieux, du courage !
Elle t’attend, il ne faut pas mourir.

J’ai tenu ferme, et me voilà sur pied, à peu près guéri.

MINA, à part.

Pauvre homme ! comment lui apprendre… ?

PASCAL.

Elle sera bien contente, va ; car, je peux vous le dire à vous, elle m’aime ! elle a tout fait pour moi. Après toi, Chambord, c’est elle qui m’a sauvé la vie ; je suis resté un mois seul avec elle, caché dans une de ses terres ; là, elle m’a juré de ne pas se marier. Tiens, voilà son anneau qu’elle m’a envoyé quelque temps après mon départ, avec un billet, dans lequel elle me disait : Pascal, maintenant, devant Dieu je suis ta femme.

CHAMBORD et MINA.

Sa femme !

PASCAL.

Et, pour gage de ma foi, je t’envoie cet anneau ; mais ce billet, cet anneau, ne me sont parvenus que bien long-temps après mon départ… impossible de quitter un drapeau toujours en face de l’ennemi ; et puis, je voulais revenir digne d’elle. Ah çà, pourquoi pleurez-vous donc, Mina ?

MINA.

Bien, rien… la surprise, le bonheur de vous revoir…

PASCAL.

Toi aussi, Chambord ?

CHAMBORD.

Du tout ! par exemple, mon… un homme !… je ne pleure pas, je ris ; tu vois bien que je ris… que je ris très-fort !

PASCAL.

Elle ne vient pas… Mina, ne pourriez-vous…

MINA, à part[1].

Je n’ose lui apprendre. (À Chambord.) Dis-lui donc…

CHAMBORD.

Moi ! jamais des jamais !

PASCAL.

Pourquoi hésitez-vous ? Pourquoi restez-vous cloués sur place ?… Mina, Chambord, répondez-moi donc ! Ah ! je vais appeler, interroger tout le monde !

Il va pour tirer une sonnette ; Chambord l’arrête.

CHAMBORD[2].

Eh bien ! si elle n’était plus ici !

PASCAL.

Comment ?

MINA, bas à Chambord.

Prends garde !

CHAMBORD.

Si elle était en voyage.

PASCAL, le regardant.

En voyage ; pourquoi ne me l’aurais-tu pas dit tout de suite ? Oh ! mais, je te devine, tu sais que je l’aime ; tu ne veux pas m’avouer…

CHAMBORD.

Est-ce qu’il aurait compris ?

PASCAL.

Oh ! c’est impossible ! Chambord, Mina, parlez ! j’ai du courage !… Wilhelmine est mariée peut-être !

MINA.

Mariée.

CHAMBORD, saisissant le bras de sa femme.

Juste !

PASCAL.

Mariée !

MINA, bas à Chambord.

Pourquoi lui laisser croire ?

CHAMBORD, bas.

Motus !… je coupe la pilule en deux, pour qu’elle passe sans accrocher.

PASCAL.

Elle s’est mariée ! au mépris de ses promesses, de ses serment. Oh ! c’est affreux !… Chambord, je ne dois plus la revoir ; elle rirait de moi, de mon amour… je ne resterai pas une heure de plus dans ce château.

CHAMBORD.

Où vas-tu ?

PASCAL.

Je ne sais ; mais emmène-moi, Chambord, emmène-moi !

CHAMBORD.

Il veut partir !… vive l’empereur !

PASCAL.

J’aurais encore la lâcheté de l’attendre, de pleurer devant elle ! J’irai où tu voudras ; mais emmène-moi.

CHAMBORD.

C’est ça, mon vieux… faut avoir du cœur… tu viendras à notre ferme. (Bas à Mina.) Tu vois… avalée la moitié de la pilule. (Haut.) Femme, un coup de pied à la carriole… en mouvement le coupé d’osier… au galop le poulet-d’Inde… dépêchons le picotin… mâchons double, ma mère…

Mina sort par le fond en courant ; Pascal est resté debout devant la chambre de Wilhelmine.


Scène VI.

PASCAL, CHAMBORD, puis FRÉDÉRIC[3].
PASCAL.

Trompé par elle ! Et son mari, quel est-il ? son nom ? Oh ! tu me diras son nom, Chambord !

  1. Chambord, Mina, Pascal.
  2. Mina, Chambord, Pascal.
  3. Pascal, Chambord, Frédéric.