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François contemplait cette merveille sans pouvoir parler, une émotion trop violente contractait sa gorge et les deux femmes respectaient ce silence dont elles devinaient la puissante impression. Ne sachant pas au juste le mystère qu’elles détenaient, elles soupçonnaient beaucoup de douleur et la respectaient.

Le père venait avec une infinie douceur d’enlever le marmot, il le tenait dans ses bras, il appuyait contre son cœur ce petit cœur, et contre ses lèvres le doux visage tiède.

L’enfant dérangé ouvrit ses yeux vagues, ses larges prunelles bleues — celles de sa mère — montrèrent leur iris pur, et François murmura d’un accent indicible : « Mon fils » pendant que deux larmes involontaires venant d’une source profonde, combien profonde !… tombaient chaudes sur le front du rameau royal. Et ce fut le baptême du dernier des rois !


XX

En marge de l’histoire.

La marge blanche de tout livre a été ménagée pour y inscrire des réflexions, y noter des idées nées en déduction de la lecture, y insérer des critiques, y adjoindra des faits survenus depuis le temps écoulé ; notre récit actuel ne s’inscrit qu’en marge, c’est une parallèle qui côtoie l’histoire et ne peut la croiser jamais.

L’histoire est une « personne » assez fantaisiste souvent, elle marche en zig-zag, mais construit quand même un invariable cercle, parce que la synthèse de l’univers est un rond dépourvu de commencement et de fin.

Le roman qui débute et s’achève forme seulement l’arc dont le lecteur tend la corde, pour voir si la résistance est fictive ou réelle… ici, nous la croyons réelle, mais celui qui lit jugera… celui qui observe songera, et beaucoup réfléchissant, se diront… j’ai vu ces héros, je connais ces silhouettes ; quand j’étais enfant, mon père me racontait des aventures analogues qu’il avait vécues, il dépliait aussi avec piété de vieilles lettres jaunies, où se lisaient des lignes presque comme celles de ce feuilleton… et il continuera à s’intéresser à cette martyre que fut Angela de Val-Salut.

Après deux mois environ de séjour à Barbentan, où son beau-frère lui procura le touchant intérêt que sa triste position excitait, la jeune femme exprima le désir d’aller s’ensevelir en un cloître, où ne pouvant témoigner son amour à aucun de ceux qu’elle aimait, elle pourrait au moins s’ensevelir dans le mysticisme de la prière.

Elle choisit un couvent de Bénédictines situé à Solesmes en Anjou, parce que là, les religieuses, entre les exercices pieux, s’occupaient de science, d’études grecques et latines, traduisaient d’anciens manuscrits, vivaient beaucoup par l’esprit.

Elle ne fit aucun vœu, mais elle suivit la règle.

Oh ! comme elle se passionnait à lire les rois et les prophètes, comme elle aimait la philosophie pure de la foi, énoncée par les Pères de l’Église. Saint Jérôme et son amie sainte Paule lui parlaient dans les silences des études. Elle savait par cœur la « Somme » de saint Thomas, elle déchiffrait sans erreur la « Vulgate » et elle comprenait la divine consolation de l’admirable croyance dont l’entraînement fit des martyrs, et dont les racines profondes traversant notre terre de part en part, ne peuvent jamais être arrachées !

La nuit, dans le lit étroit, dur et froid, où ses membres las ne se reposaient point, Angela avait des rêves vibrants, son âme s’envolait vers celui auquel elle devait l’unique, rare et court bonheur qui lui avait révélé le pourquoi de la vie. Leur correspondance, depuis longtemps cessée par ordre supérieur, lors de son admission au couvent, ne ravivait aucune étincelle d’amour, mais dans le sommeil, le corps éprouve des sensations, et la pauvre solitaire croyait sentir les baisers de son enfant qu’elle n’avait jamais connu.

Une fois elle ressentit nettement l’impression d’un danger menaçant le cher petit être, elle eut une crispation de torture inouïe, puis le calme vint, l’intuition rassurante s’accentua, la crise venait de passer. Or, voici ce qui s’était produit tous les sensitifs savent combien ces impressions à distance sont fortes.

Daniel avait à cette époque environ quatre ans ; il jouait avec son jeune frère de lait, Léo, dans le beau jardin de la villa. Carlotte surveillait les « bambini » tout en causant, assise près d’eux. Les vieux parents étaient sortis un moment pour aller en ville chercher des provisions.

Soudain, quatre hommes avaient escaladé le mur, bondi sur la nourrice qu’ils avaient bâillonnée et ligotée, puis deux d’entre eux s’étaient emparés des enfants, essayant de fuir… seulement ils avaient compté sans le chien dont un accès de rage folle avait doublé les forces. Il avait pu casser sa chaîne, sauter sur un des voleurs, et occasionner un tel vacarme que des passants s’étaient émus, essayant d’entrer en brisant la porte.

Devant cet assaut, les bandits n’avaient eu que le temps de fuir abandonnant les proies vivantes… que dans le doute ils emmenaient en double, craignant de se tromper d’enfant.

Puis, peu à peu, la religieuse volontaire était parvenue à enliser son esprit dans une brume opaque, elle en laissait filtrer juste assez de lueur pour accomplir les actes quotidiens. De la sorte, elle souffrait moins.

Que se passait-il par le monde ? Elle l’ignorait, une grande guerre avait semé l’épouvante sur le pays, ceci les prières le lui avaient appris, le travail aussi, on avait préparé des objets de pansement. François, venu à Versailles, s’y était occupé d’un peu de politique, de sourdes manœuvres, échouées lamentablement, n’avaient amené qu’un peu de bruit et le roi, sans conviction, drapé dans son drapeau fleurdelysé, avait repris le chemin de l’exil.

Dix années s’étaient écoulées grises et mornes.

Un jour, « sœur Angela » eut une secousse nerveuse, on aurait dit un éclair striant le désert morne. On demandait au parloir l’exilée du monde.

La mère supérieure avait permis l’entrevue, le baron de Barbentan voulait voir sa belle-sœur.

Pendant le trajet à travers les couloirs, conduisant de sa cellule au salon, la religieuse transie de surprise, tremblante aussi, se livrait à un calcul mental : dix ans ! oui, dix ans de claustration ! Et il remontait de son cœur endormi des bouffées de chaleur en allant vers cet homme qui était le passé. Au milieu des cendres tièdes accumulées sur ce cœur, une étincelle avait jailli.