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Après deux étages, elle arriva dans une galerie vitrée et, par suite, relativement claire. Sur cette galerie donnaient plusieurs portes…

Avec d’infinies précautions, l’intruse les ouvrit les unes après les autres et visita ainsi plusieurs salons.

Enfin, la dernière porte soulevée, elle se vit dans la salle à manger.

Un ordre parfait y régnait autant que l’obscurité permettait d’en juger.

Véga commença par aller ouvrir la fenêtre qui était pour elle l’échappatoire ; ensuite, elle ferma, avec soin, toutes les portes et alla droit au buffet.

Sur les étagères, il y avait des compotiers de cerises, de fraises, de gâteaux.

— Bon, se dit l’affamée, mais je voudrais bien du pain.

— Elle ouvrit un vantail, ses mains fouilleuses rencontrèrent une corbeille à pain où restaient des morceaux coupés, elle prit la corbeille et continua ses recherches.

Bientôt ses doigts se posèrent sur une chose grasse et froide qu’ils saisirent avec ardeur. C’était une magnifique tranche de pâté froid.

— Sauvée ! se dit la voleuse, à boire à présent.

Il ne lui fut pas malaisé de prendre une bouteille et un verre, elle entassa le tout dans la corbeille à pain et s’en alla s’asseoir devant la fenêtre, sa ressource de fuite en cas d’alerte.

Mais elle n’éprouva aucune alerte, elle put se restaurer longuement, tranquillement, si bien que minuit sonna avant qu’elle fût rassasiée.

Au pâté succédèrent les gâteaux, puis les cerises et elle revint chercher encore dans le buffet. Tout était exquis.

Une fois réconfortée, gaie et solide, l’oiselle se remit en marche d’exploration. Au rez-de-chaussée, il n’y avait que des salons, billard, bibliothèque, cuisine.

Évidemment, l’intérêt était à cette heure dans les chambres à coucher.

Véga remonta à pas de chatte, juste la lune se levait et sa lueur éclairait, par de nombreux vitraux.

La disposition de l’étage supérieur était la même qu’au rez-de-chaussée : une vérandah sur laquelle donnaient toutes les pièces.

Très crâne, très prudente, bien d’aplomb depuis son repas, l’audacieuse créature ouvrait les portes à tour de rang.

Toutes étaient vides, sauf celle du bout formant aile en retour.

Là, Véga aperçut un lit occupé par quelqu’un, une femme évidemment, puisque des jupes s’amoncelaient sur un siège voisin.

Elle referma avec encore plus de prudence et passa.

Une petite chambre proche était aussi occupée par une autre femme, une servante sans doute, car la pièce paraissait moins luxueuse, un ronflement sonore venait du lit.

Plus loin, Véga jugea prudent d’ouvrir une fenêtre de la galerie.

C’était pour elle le chemin du salut. Elle continua son exploration.

Maintenant, elle entrait dans un bureau paraissant très confortable, une grande table massive recevait en plein un rayon lunaire. Des lettres traînaient sur un buvard.

À tout hasard, la curieuse les saisit et les glissa dans son maillot.

Au moins, pensa-t-elle, je saurai où je suis par les adresses.

Une simple portière relevée séparait ce cabinet d’une autre pièce, Véga la souleva.

Seulement elle recula effarée.

Accoudé sur un oreiller, un homme lisait.

Ce n’était pas Daniel. Ce n’était aucun personnage connu d’elle.

Cette chambre était la dernière de l’étage, la configuration du bâtiment permettait de voir que l’étage supérieur ne devait offrir que des mansardes.

L’homme avait levé les yeux, mais plus rapide que lui, la jeune fille avait gagné la fenêtre, sauté sur l’appui, et pointant droit en l’air, elle s’était posée sur le toit, hors la vue par conséquent.

Le châtelain maintenant venait dans le cabinet de travail.

L’oiselle apercevait la promenade de la lumière qu’il tenait ; il dut deviner une intrusion étrangère, remarquer la plupart des croisées ouvertes, les pas tracés peut-être en poussière sur le tapis, le désordre de la salle à manger.

Quoi qu’il en soit, elle perçut le bruit de sonnettes agitées à l’intérieur, d’appels. Successivement, les vérandahs éclairées envoyèrent des reflets sur les arbres et la ronde des habitants finit par les jardins.

L’oiselle, bien allongée dans une gouttière sèche, invisible d’en bas, contemplait souriante l’expédition nocturne qui, armée de lanternes et de fusils, parcourait le parc et les communs.

Il y avait deux hommes et trois femmes, tout ce que contenait le château probablement, aucun habitant n’ayant voulu rester seul au logis après l’alerte.

Daniel n’était pas parmi eux.

Véga eut une idée malicieuse. Elle était près de la cloche des heures, elle saisit le battant et se mit à carillonner…

Toute la troupe leva les yeux, les bras, les exclamations se croisèrent. Évidemment, c’était surnaturel !

Pendant que les hôtes rentraient, dans le but sans doute de venir explorer les hauteurs, l’oiselle s’envola.


XXXII

Celui qu’on attend

La route d’azur et d’or était absolument délicieuse ; ses forces revenues, sa gaieté retrouvée, la jeune fille s’en allait à tire d’ailes vers le couchant.

Il devenait vraiment inexplicable qu’elle ne pût sortir des monts, c’était à croire qu’elle tournait en cercle.

À la naissance du jour, elle n’apercevait pas encore la mer.

De plus, le temps se gâtait, des nuages couraient très vite autour d’elle, les plus bas se résolvaient en pluie, lui cachant la vue de la terre.

— Allons, il va falloir traverser ces brumes, se dit Véga, et s’abriter dans quelque creux de rochers, je m’alourdis terriblement.

Elle se laissa tomber, les ailes formant parachute, et toucha terre au bord d’un lac.

Près de ce lac, une maison basse avec dessus le mot « Hospice » lui offrait un refuge.

L’endroit était désert, elle entra dans l’unique pièce de l’asile offert aux voyageurs. Elle contenait de la paille et une armoire en chêne fermée par un verrou. Sur cette armoire, une pancarte où se lisaient ces mots écrits en français et en espagnol :

— Voyageur, repose-toi, mange, bois et paie ce que tu consommeras au tarif ci-dessous. Tu es seul, sois juste.

— Bon, se dit l’arrivante, payer je ne puis pas ; manger, je le puis d’autant mieux que l’air des hauteurs est un terrible apéritif.