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Ce pensant, Véga ouvrit l’armoire. Elle n’offrait pas un si bon menu que le buffet du château : il y avait tout juste une boîte de fer contenant des biscuits de mer, une autre boîte de fer contenant des harengades salées.

Les prix indiqués étaient : un biscuit et une harengade pour un réal (25 centimes).

Avant de se reposer, l’oiselle dépouilla ses plumes, les lissa, les étendit.

L’averse crevait torrentielle, le sentier devenait cascade, il était vraiment temps de s’abriter, elle repoussa la porte du refuge, un peu de jour venait d’une petite fenêtre aux vitres sales.

Cet intérieur était horrible. La jeune fille n’y pensait guère, toute réjouie de l’abri trouvé à point. Elle posa sur le seuil un verre afin de recueillir l’eau de pluie nécessaire à son breuvage et elle mangea lentement le frugal repas.

Un souffle court et haletant, une intrusion violente dans sa cachette la surprit soudain. Mais elle sourit à l’arrivant. C’était un bon gros chien de contrebandier ; il avait, attaché sur le ventre, une sacoche plate, il venait tendre son museau vers les provisions. Véga le servit.

— Les bêtes comme nous, petit frère à quatre pattes, lui dit-elle avec une caresse, ne peuvent payer… seulement, en vertu de notre droit à la vie, prenons.

Il grogna de joie, tout ruisselant, et s’étendit sur la paille.

La jeune fille l’imita et dans ce mouvement entendit le froissement de papiers :

— Oh ! les lettres que j’oubliais, voilà qui va m’éclairer.

Elle essaya de lire au jour terne noyé de pluie :

Al Senor don Antonio Talavera
Castel San Geronimo
Provincia de Guipuscoa
Espana

L’enveloppe portait le timbre de Biarritz. La lettre était écrite en français. Sans aucun scrupule, Véga lut :

« Caro Amigo,

Puisque vous croyez possible cette restauration et son heure proche, je repars vers celui qui doit revenir. Son droit est incontestable, son authenticité aisée à prouver, reste à le décider… Il ne tient pas au trône… mais si je parviens à lui prouver que de lui dépend le bien de la France, l’idée du devoir le décidera.

C’est une âme d’élite, un cœur d’or.

Ainsi que vous me le conseillez, j’amènerai le prince chez vous, où il demeurera en sûreté de ce côté-ci de la frontière jusqu’au moment choisi par la divine Providence. À chaque escale, je vous donnerai de nos nouvelles.

Roger et moi vous envoyons notre meilleure pensée.

Sophia ».

Une exclamation jaillit des lèvres de Véga à la lecture de la dernière ligne : Sophia, Roger !

C’étaient ses amis, ceux qu’elle cherchait : et ils s’occupaient de Daniel, eux aussi, et ils parlaient de la restauration du trône.

Ah ! mais alors Mme Angela ignorait donc ?

Elle relut dix fois les lignes passionnantes.

Elle ne les comprenait cependant pas absolument… on avait offert à Daniel le rôle de « prétendant ». Daniel savait alors ? Pourquoi avait-il joué vis-à-vis d’elle la comédie de l’ignorance ?

Une autre lettre restait à ouvrir. Véga lut avidement :

« Mon cher cousin,

L’histoire que vous me contez me paraît un roman… Je crois, je l’avoue, à l’imposture d’un intrigant. Mon fils vivrait ! et depuis vingt ans se tairait ! il aurait eu le triste courage de me laisser le pleurer inlassablement. Non, Antonio, on vous leurre, et pourtant, puisque votre amie affirme, allons jusqu’au bout et laissons-le reparaître, il sera toujours temps de le confondre ou de lui ouvrir les bras, s’il est bien le fils du dernier souverain de France.

Votre parente bien affectionnée,

Mélanie ».

Véga ne pouvait détacher ses yeux de cette lettre extraordinaire.

— Est-ce que ces lignes ont été tracées par Mme Angela ? se disait-elle, est-ce qu’elles corroborent l’autre missive ?

— En tous cas, cet Antonio que j’ai terrifié n’est pas un ennemi de Daniel, puisqu’il veut le recevoir et l’aider.

— Il s’agit évidemment de Daniel… et pourtant…

Le front dans ses mains, la jeune fille songeait profondément, pendant que la pluie faisait rage.

Le chien, très las et repu, dormait.


XXXIII

Perdue en mer

La pluie dura toute la journée et toute la nuit, c’était une cataracte : Véga s’impatientait de son impuissance, elle dormait le plus possible et grelottait au milieu de cette humidité, elle imaginait une gymnastique de chambre de temps à autre, et se replongeait au milieu de la paille, seul canapé qu’elle eut à sa disposition.

Le lendemain matin, une pâle éclaircie montra un peu de ciel. La jeune fille s’élança aussitôt par là, au grand ahurissement du chien, qui se mit à hurler…

Vers les hauteurs, au milieu du brouillard, un froid vif saisit l’oiselle, elle essaya de monter pour rencontrer le soleil. Mais un vent violent la prit, l’entraînant comme une flèche. Où ?…

Elle ne pouvait ni s’orienter, ni descendre, elle était dans une trombe, autour d’elle des oiseaux pépiaient, elle crut reconnaître des hirondelles de mer et en conclut avoir quitté la chaîne des Pyrénées.

Voir au-dessous d’elle restait impossible, un voile uniforme de nuages cachait la terre. Elle s’abandonnait…

La course vertigineuse dura plusieurs heures extrêmement pénibles, la respiration haletante, coupée, la pauvre oiselle finit enfin par trouver une zone plus calme et plus tiède.

Elle s’y baigna voluptueusement, mais elle était brisée et songea à descendre au-dessous des nuages.

L’oiselle était en pleine mer !

Pas un bateau, pas un rocher, pas un abri ! Où donc reposer ses membres fatigués ?

Elle se mit à planer presqu’immobile et songea.