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ANNALES D’HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

à la culture du sol et à la consommation sur place de ses produits.

En même temps que le commerce, ce que l’on pourrait appeler la culture commerciale s’éteint au cours du viiie siècle. Ceux qui se mêlent encore de vendre et d’acheter ne constituent plus dès lors une classe spéciale requérant un minimum d’instruction. Aussi bien l’instruction a-t-elle disparu au sein de la société laïque. Elle ne se conserve plus que dans l’Église, instrument et bénéficiaire de ce renouveau des lettres que l’on désigne un peu abusivement, semble-t-il, sous le nom de renaissance carolingienne. Si remarquable qu’ait été cette renaissance, si supérieurs qu’apparaissent les clercs du ixe siècle comparés à ceux du viie ou du viiie, il faut bien reconnaître que les progrès de l’enseignement dans l’Église ont eu pour contrepartie la disparition définitive de cet enseignement laïque que la survivance des écoles romaines avait laissé subsister, vaille que vaille, aux temps mérovingiens. Sans doute, on écrit beaucoup mieux le latin après Charlemagne qu’avant lui, mais le nombre de ceux qui l’écrivent est devenu bien moindre, puisqu’on ne l’écrit plus que dans le clergé. La paléographie nous en fournit l’irrécusable démonstration. À la cursive romaine, dont l’usage se conserve jusqu’à la fin du viiie siècle dans tous les royaumes fondés sur le sol de l’Empire en Occident, se substitue la minuscule dès les débuts de l’époque carolingienne. Et cette substitution atteste d’une manière frappante combien l’art d’écrire s’est restreint. La cursive est, en effet, caractéristique des civilisations où l’écriture était indispensable à tous les actes de la vie sociale, la nécessité s’impose d’écrire vite parce que l’on écrit beaucoup. La minuscule, au contraire, tracée à main posée, répond à une société où l’art d’écrire est devenu le monopole d’une classe de lettrés. La première est faite pour l’administration et les affaires, la seconde pour l’étude. Dans la différence de leurs caractères s’exprime le contraste d’un temps où la pratique de l’écriture est encore largement répandue chez les laïques avec un temps où elle s’est monopolisée aux mains des clercs. L’une s’approprie aussi bien aux nécessités du commerce que l’autre s’y adapte mal. De même d’ailleurs que la minuscule a remplacé la cursive au moment même où la décadence économique consécutive à la conquête musulmane faisait du marchand un illettré, on verra reparaître la cursive dans le courant du xiiie siècle, c’est-à-dire à l’époque où la renaissance du commerce rendra de nouveau l’écriture indispensable au marchand.

Un minimum d’instruction dut s’imposer aux marchands de l’Europe Occidentale lorsque, après la longue stagnation du ixe et du xe siècle, le trafic commença de se ranimer et de susciter la formation des premières agglomérations urbaines. Alors, sous l’influence de la circulation renaissante, une classe de mercatores professionnels se reconstitue. L’échange et la circulation des marchandises deviennent