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L’INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN ÂGE

ou plutôt redeviennent des moyens d’existence. Des hommes en nombre de plus en plus grand s’arrachent au travail de la terre pour s’adonner au nouveau genre de vie qui, des côtes de Flandre et des environs de Venise où la navigation l’a éveillé, pénètre peu à peu dans l’intérieur. Des villes se forment aux nœuds du transit, attirant de plus en plus vers elles les vagabonds et les aventuriers qui sont les ancêtres de la bourgeoisie et les rénovateurs, dans notre histoire, du capital mobilier. Dès le xie siècle, des fortunes considérables ont déjà été échafaudées par les plus intelligents d’entre eux. Car l’intelligence devient désormais un moyen de parvenir à la richesse. Les bénéfices du marchand seront d’autant plus fructueux qu’il combinera mieux ses achats, choisira plus habilement ses marchés, calculera plus exactement ses chances. Mais pour tout cela, un ensemble de connaissances est requis dont plusieurs sans doute s’acquièrent par la pratique et les voyages, mais que l’instruction complétera.

Les affaires des marchands du xie et du xiie siècle sont évidemment trop étendues pour que l’on puisse les concevoir dirigées par de simples illettrés. La circulation des marchandises et la circulation de l’argent qu’elles supposent exigent, à n’en pas douter, la tenue d’une correspondance et celle d’une comptabilité sans lesquelles elles seraient impossibles. Comment pourrait-on admettre que, dès cette époque, les marchands de Flandre aient pu acheter et vendre en gros de la laine et des draps en Angleterre et prêter des sommes d’argent considérables à toutes sortes de nobles clients, s’ils avaient dû se contenter de se fier à leur mémoire pour connaître l’état de leurs dettes et de leurs créances ? Incontestablement, le besoin de tenir des comptes s’imposait à eux plus fortement encore qu’il ne s’imposait aux grands propriétaires fonciers, et l’on n’imagine point qu’ils aient pu se passer de correspondre avec l’extérieur. On ne se les représente pas privés de cet élargissement formidable que la lecture, l’écriture et le calcul apportent à l’activité individuelle.

L’indigence de nos sources est trop grande pour nous permettre d’apercevoir clairement de quelle manière l’enseignement et le commerce se sont rejoints. Comme il n’y avait d’écoles que dans l’Église et pour l’Église, il est permis de supposer que, parmi les premiers marchands, ont figuré bon nombre de clercs qui, séduits par la vie commerciale, l’auront abordée avec les avantages d’une instruction acquise en vue d’une carrière bien différente. On sait d’ailleurs que les degrés inférieurs de la cléricature ne constituaient pas un empêchement dirimant aux professions laïques. Pourquoi les clercs du xie siècle se seraient-ils abstenus de tenter la chance des affaires dès les débuts de la renaissance commerciale, alors qu’on les voit si nombreux parmi les marchands dans les siècles postérieurs ? En tout cas, il est certain que de très bonne heure, s’ils n’ont pas pris part directement au