latin, puisqu’aussi bien c’est exclusivement en latin que se dressaient les chartes, que se tenaient les comptes, que se rédigeaient les correspondances. Lire et écrire ne signifiait autre chose que lire et écrire le latin. Langue de l’Église, le latin dut être et fut en réalité la langue du commerce à ses débuts, puisque c’est l’Église qui dota tout d’abord les marchands de l’instruction qu’ils ne pouvaient acquérir que grâce à elle.
Abundus étant mort en 1225, on peut fixer à plusieurs dizaines d’années auparavant son entrée au monastère[1]. Son cas n’ayant certainement pas été isolé, nous pouvons donc affirmer que, dans le courant du xiie siècle, des abbayes et sans doute diverses écoles ecclésiastiques dispensèrent l’enseignement aux enfants de la classe marchande en les admettant à leurs leçons en qualité de ce que, faute de mieux, j’appellerai des auditeurs libres. Mais cet enseignement comportait toutes sortes d’inconvénients et de dangers. Il était à craindre, en effet, et l’anecdote de Villers nous le montre précisément, que la vie monastique n’attirât vers elle les enfants que leur famille destinait à la moins mystique des carrières. Cela était même d’autant plus à redouter que, aux yeux des moines, le commerce apparaissait comme une cause de perdition. Les plus fervents d’entre eux devaient considérer comme un devoir d’en détourner les jeunes garçons qui venaient leur demander les moyens de s’y préparer. Quelle étrange initiation ne recevaient-ils pas de maîtres imbus de l’idée que « le marchand ne peut pas, ou ne peut que bien difficilement sauver son âme »[2] ! Sans doute, la mésaventure du père d’Abundus fut celle de bien d’autres. On risquait fort, en confiant son fils à un couvent, de ne pas l’en voir revenir. D’autre part, les écoles monastiques répondaient bien imparfaitement aux vues des commerçants qui y envoyaient leurs enfants. Le programme, demeuré fidèle aux prescriptions du trivium et du quadrivium, comportait quantité de branches dont ceux-ci n’avaient nul besoin. La grammaire, la rhétorique, la dialectique, le chant, etc. Que de temps gaspillé en pure perte au détriment des élèves qui ne demandaient rien d’autre que d’apprendre au plus vite à baragouiner un peu de latin et à tracer des lettres, tant bien que mal, au stylet sur des tablettes de cire ou à la plume sur le parchemin.
Les plus riches parmi les marchands durent, de bonne heure, préférer à un genre d’enseignement, si périlleux et si défectueux à la fois, l’enseignement à domicile. Un texte d’Ypres parle des bourgeois qui font instruire leurs enfants, ou les personnes de leur famille habitant sous leur toit, par un clerc à leurs gages. Ce texte ne date, il est vrai, que de 1253. Mais il n’est pas croyable que les opulents négociants dont, dès le milieu du xiie siècle, les maisons fortifiées et surmontées