Page:Annales d’histoire économique et sociale - Tome 1 - 1929.djvu/26

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
ANNALES D’HISTOIRE ÉCONOMIQUE ET SOCIALE

commerce, ils y ont pris part indirectement. Grâce à leur connaissance du latin et de l’écriture, plusieurs d’entre eux ont indubitablement été employés à tenir les comptes, et à faire la correspondance des marchands. Ce n’est pas sans de profondes raisons historiques que, dans toutes les langues européennes, le mot « clerc » a fini par désigner un commis[1]. Dès le milieu du xie siècle, les membres de la gilde marchande de Saint-Omer avaient à leur service un « notaire » que l’on peut considérer comme le plus ancien teneur de livres connu. Car il n’est pas téméraire de penser que ses fonctions ne se bornaient pas à l’inscription des « frères » sur le rôle de la société, mais qu’il accompagnait sans doute les membres de la gilde dans leurs expéditions commerciales, en qualité de comptable<refG. Espinas et H. Pirenne, Les coutumes de la gilde marchande de Saint-Omer (Le moyen âge, 2e série, t. V, 1901, p. 190 et suiv). Le texte de ces coutumes est antérieur à 1083. Le notaire y est mentionné au § 24 : « Si quis gildam emerit, juvenis vel senex, priusquam in cartula ponatur, 2 denarios notario, decanis vero duos denarios ». Le § 25 montre encore le notaire mangeant avec les doyens, aux frais de la gilde « in thalamo gildalle ». Il faut remarquer que le règlement de la gilde ou charité de Valenciennes au xiie siècle, parle d’un chancelier dont les attributions sont analogues à celles du notaire de Saint-Omer. Voy H. Caffiaux (Mém. de la Soc. des Antiquaires de France, 4e série, t. VIII, p. 25 et suiv). À Venise, où l’instruction était évidemment bien plus répandue parmi les marchands qu’elle ne l’était dans le Nord, on voit, au commencement du xiie siècle, chaque bateau avoir à bord un notarius. R. Heynen, Zur Entstehung des Kapitalismus in Venedig, Stuttgart, 1905, p. 82.</ref>.

Ainsi donc, dès le début, les marchands ont eu recours à l’écriture d’hommes que l’Église avait instruits dans ses écoles. Mais ils devaient nécessairement chercher à acquérir pour eux-mêmes la connaissance d’un art si profitable. L’idée de s’asseoir sur les bancs des écoles où s’instruisait le clergé s’est présentée d’elle-même à leur esprit. Ici, il n’est plus besoin d’hypothèse. Un texte formel nous permet d’affirmer qu’il en fut bien ainsi. Les Gesta Sanctorum de l’abbaye de Villers-en-Brabant, parlant de l’enfance du moine Abundus, mort en 1228, nous apprennent que, fils d’un marchand de Huy, il avait été confié au couvent « afin de s’y rendre capable de tenir note des opérations commerciales et de dettes de son père ». Mais les intentions toutes pratiques de ce père ne s’étaient pas réalisées. Dans le milieu monastique l’enfant avait tellement pris goût à l’étude des lettres qu’il s’était entièrement consacré à elles, avait renoncé au négoce et s’était fait moine[2]. L’anecdote est singulièrement instructive. Elle nous fournit un exemple de la manière, sans doute la plus ancienne, à laquelle les marchands recoururent pour se procurer la partie, pour eux la plus utile, des connaissances dont l’Église se réservait le monopole. Ce n’était pas seulement de savoir lire et écrire qu’il s’agissait. Il importait tout autant de s’initier à la pratique du

  1. Dans les langues slaves, c’est le mot « diacre » qui a subi l’évolution. Le vocable est autre, le phénomène est identique.
  2. Ex gestis Sanctorum Villariensium (Mön Germ. Hist. Script., t. XXV, p. 232) : « cum litterarum sudiis esset traditus, ea de causa ut patris debita sive commercia stylo disceret annotare, miro modo proficere suduit etc. »