Page:Annales de géographie, Tome XXXVIII, 1929.djvu/200

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
196
ANNALES DE GÉOGRAPHIE

l’Europe entière et, tout ensemble, l’Asie un assaut de l’extérieur, venu de la mer Atlantique…

Au temps où cette mer était chemin praticable[1], il était une île aux bouches de ce que vous appelez les Colonnes d’Héraklès. De cette île, plus grande que la Libye et l’Asie, tout ensemble, les voyageurs pouvaient passer sur d’autres îles, puis sur le continent d’en face, qui borde la mer, la vraie mer de là-bas : car, en vérité, qu’est donc toute la mer de ce côté-ci des bouches, sinon un port à l’étroit goulet ? mais là-bas, la vraie mer n’entoure-t-elle pas toute la terre qui mérite le nom de continent ? C’est dans cette île Atlantide qu’avait surgi et grandi une puissance royale, maîtresse de l’île entière et d’autres terres insulaires ou continentales en nombre, sans compter toute la Libye jusqu’à l’Égypte et toute l’Europe jusqu’à la Tyrrhénie…

« C’est alors, ô Solon, que la puissance de votre ville éclata à tous les yeux par la valeur et la vigueur de votre peuple : modèle de force d’âme, modèle d’habileté militaire, elle prit d’abord la tête des Hellènes alliés ; puis, abandonnée par tous les autres, laissée seule par leur défection en face de la nécessité, elle affronta les derniers périls pour dompter l’invasion et préserver de l’esclavage ceux qui n’avaient jamais été asservis ou pour libérer, sans compter, tous les autres peuples, qui habitent de ce côté des Colonnes d’Héraklès… »

Est-il besoin de dire qu’en cet hymne à la gloire d’Athènes et de sa déesse, — c’est le mot que Platon lui-même met dans la bouche de Critias (21 a), « qui veut célébrer dignement et vraiment la Déesse en ces jours de fête, par une sorte d’hymne à sa louange », — nous avons, comme en tel couplet des Perses d’Eschyle (353 et suiv.), le souvenir de Marathon, de Salamine, de Platées et de toute la politique d’Athènes contre le Mède au cours des cent années antérieures à Platon ?… Or, en même temps que ces victoires athéniennes avaient abattu au Levant la tyrannie du Grand Roi, l’hellénisme de Sicile, — que Platon connaissait par de longues fréquentations, — avait arrêté au Couchant et mis pour un temps en échec ce Grand Empire maritime des Carthaginois, qui avait établi son monopole sur tant et tant d’îles inconnues de la mer Extérieure, comme sur tant de rivages de la Libye, entre l’Égypte et le Détroit, et de l’Europe, entre le Détroit et la Tyrrhénie. Le Timée fut composé par Platon en son extrême vieillesse, après ses cinq ou six voyages à travers les cités helléniques d’Europe et de Libye, que menaçaient les empiétements de Carthage et que la fameuse victoire d’Himère (480) avait un instant délivrées de cette crainte.

  1. Cette expression n’était compréhensible à première rencontre que pour les Hellènes familiers avec la légende des Colonnes d’Héraklès. Il avait été un temps où, de Libye en Europe, une large bande de territoire permettait le passage à pied sec. Héraklès était venu, qui avait séparé les deux continents et planté ses deux colonnes sur les deux rives du détroit ainsi ouvert. Pomp. Mela, I, 5 : Herculem ipsum junctos olim perpetuo jugo diremisse colles atque ita exclusum antea mole montium Oceanum ad ea quae nunc inundat admissum.