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hectare. La propriété est très divisée. Et cependant pour entretenir les parois des rizières, régler la distribution de l’eau, repiquer la plante, la moissonner, l’égrener, la décortiquer, il faut une main-d’œuvre nombreuse et toujours présente. C’est une série d’opérations qui dure plus de six mois ; travail menu, d’adresse plus que de force, où la femme a un grand rôle. Ce travail se fait en famille et entre voisins. Le sexe féminin d’un village tout entier se transporte à la ronde chez chaque cultivateur pour procéder rapidement et en temps utile à ces multiples opérations. L’iconographie chinoise ou japonaise nous a familiarisés avec ces scènes. Elles ont trouvés chez quelques-uns de nos résidents européens des observateurs sympathiques[1]. Le cycle traditionnel ramène donc des fêtes ou réjouissances périodiques ; il est le cadre dans lequel une foule de petites gens, pullulant entre leurs carrés de rizières et leurs palissades de bambous, mettent leurs joies, leurs superstitions et leurs espoirs.

Je me garderais de trop généraliser ; mais s’il est vrai que dans ces sociétés d’Extrême-Orient qui gravitent autour de la Chine, leur centre et leur moteur, la forte constitution de la famille et du village soit la pierre angulaire, on voit le rapport de cause à effet entre le mode de culture inspiré par les conditions géographiques et la seule forme vraiment populaire d’organisation sociale qu’on y découvre. L’importance de ce fait tarda pourtant à être aperçue. Les Anglais se seraient épargné de graves déboires, si, au début de leur domination dans l’Inde, quand ils voulurent organiser le Bengale et le Bahar suivant le principe qui leur était cher de la grande propriété, ils avaient eu un sentiment plus exact des conditions naturelles.

On peut objecter qu’il ne s’agit dans les exemples précédents que de sociétés peu développées ou paraissant figées dans leurs habitudes. La civilisation chinoise elle-même garde, en effet, un aspect patriarcal et familial, marqué d’un certain cachet d’archaïsme.

Assurément, le lien est plus délicat à saisir dans nos sociétés extrêmement compliquées. Il n’existe pas moins. Par exemple, dans ses belles études sur les États-Unis d’Amérique, l’auteur de l’Anthropogéographie, M. Ratzel, remarque le caractère original que l’étendue des surfaces sur lesquelles opère l’Américain a communiqué à sa civilisation. D’autres observateurs ont insisté également sur ce point de vue[2]. Il n’y a rien en effet qui déroute davantage l’Européen, et qui s’impose davantage à ses réflexions. L’échelle des proportions n’est pas la même pour eux et pour nous. Nos cadres d’habitudes sont généra-

  1. Voir : Adhémar Leclère, La culture du riz au Cambodge (Revue scientifique, 4e série, XIII, 1900, p. 11-109, passim).
  2. A. Oppel, Amérique et Américains (Ann. de Géog., VIII, 1899, p. 438-459 ; IX, 1900, p. 56-64).