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est une des plages les plus malsaines du monde, un coin hanté par la fièvre jaune. C’est cependant cet endroit, que les hommes devraient fuir comme un cimetière, qui, de préférence à d’autres ports moins insalubres qu’on trouverait un peu plus loin, est choisi, fréquenté : vrai paradoxe géographique qu’explique l’utilité commerciale.


L’étude, dont je viens d’esquisser quelques traits, pourrait être formulée ainsi : traduction de la vie géographique du globe dans la vie sociale des hommes. Nous retrouvons dans ces formes de civilisation l’expression de causes générales qui agissent sur toute la surface de la terre : position, étendue, climat, etc. Elles engendrent des conditions sociales qui présentent sans doute des diversités locales, mais qui sont néanmoins comparables dans des zones analogues. Il s’agit donc bien d’une géographie ; géographie humaine, ou géographie des civilisations.

L’homme, pourtant, n’est pas à l’égard de la nature ambiante dans un rapport de dépendance qu’on puisse assimiler à celui des animaux et des plantes. Comment se fait-il néanmoins que les conditions d’existence, contractées en certains milieux, acquièrent assez de consistance et de fixité pour devenir des formes de civilisation, de véritables entités qui peuvent même en certaines circonstances être transportées ailleurs ? Il faut se rappeler que la force d’habitude joue un grand rôle dans la nature sociale de l’homme. Si dans son désir de perfectionnement il se montre essentiellement progressiste, c’est surtout dans la voie qu’il s’est déjà tracée, c’est-à-dire dans le sens des qualités techniques et spéciales que les habitudes, cimentées par l’hérédité, ont développées en lui. Tel instrument de tribu sauvage dénote une ingéniosité dont l’application à d’autres objets aurait été le principe d’une civilisation supérieure. Ce progrès n’a pas eu lieu. En effet, l’homme ne se laisse pas facilement détourner de sa vie traditionnelle ; et à moins que des secousses violentes et répétées ne l’y arrachent, il est disposé à se retrancher dans le genre d’existence qu’il s’est créé. Il s’enferme à la longue dans une prison qu’il a construite. Ses habitudes deviennent des rites, renforcés par des croyances ou des superstitions qu’il forge à l’appui.

C’est là une considération à laquelle ne sauraient se montrer trop attentifs tous ceux qui réfléchissent sur les complexes questions des rapports entre la terre et l’homme. Elle est de nature à expliquer des anomalies dont on tire souvent des objections. Il est fréquent que parmi les virtualités géographiques d’une contrée, quelques-unes, qui semblent évidentes, soient restées stériles, ou n’aient été suivies que d’effets tardifs. Il faut se demander en pareil cas si elles étaient en correspondance avec le genre de vie que d’autres qualités ou propriétés du sol y avaient précédemment enraciné. La Chine, qui a merveil-