Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/329

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Mais combien sont abondantes les larmes que l’héroïne et les personnages les meilleurs versent sous le moindre prétexte, combien de rougeurs subites, de confusions, d’attendrissements, d’évanouissements sont décrits là avec une évidente complaisance ! Il faut toutefois juger de ces choses en les comparant aux orgies de sentimentalité, à la sensiblerie, aux pleurs intarissables, aux sanglots des romans du genre de « L’Homme Sensible » ou de « L’Homme du Monde ». À une époque où la sentimentalité règne en maîtresse dans le roman, et jusqu’au théâtre, [1] « Evelina », avec ses pages de franche comédie, ses descriptions de la vie des boutiquiers de la Cité, nous apparaît, comparée à « L’Homme Sensible », comme une première protestation du bon sens et d’un sain réalisme contre les exagérations et les errements de la sensibilité à la mode.

Cependant, l’apparition « d’Evelina », importante au point de vue de l’histoire littéraire parce qu’elle inaugure le roman féminin et forme un lien entre les premiers romans d’étude psychologique et le roman basé sur la réalité et l’observation directe de Jane Austen et de Miss Edgeworth, exerça peu d’influence sur la littérature contemporaine. Malgré le grand succès de son premier roman, le compromis que Miss Burney avait essayé d’effectuer entre le sentiment et le réalisme ne tenta pas l’imitation. Le succès de « Cecilia » en 1782 fut moins spontané. L’impulsion sentimentale donnée à la littérature par Richardson, ayant suivi au cours des deux générations suivantes, une progression constante, commençait à prendre une nouvelle direction. La sensibilité des lecteurs, qui avait eu besoin pour s’éveiller du pathétique constant de « Clarissa », s’était à la longue émoussée. L’attendrissement et les larmes avaient perdu de leur premier attrait. Le sentiment passait du pathétique à ce frisson malsain, à cette recherche de l’émotion dans le terrible, le fantastique

  1. Voir les scènes de « The Rivals » entre Julia et Falkland et les comédies de Cumberland.