Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/370

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sont jugés moins au point de vue de leur valeur individuelle qu’à celui de leurs mérites en tant qu’amoureux et maris. Dans le domaine de la famille et des relations de société où les femmes sont reines, les hommes, quelle que puisse être ailleurs leur liberté d’action, doivent se soumettre à la loi et au caprice féminins. Amoureux, ils doivent chercher à plaire, et — Jane Austen le sait bien — ils ne sauraient le faire qu’en se consacrant entièrement au service de celles qu’ils aiment. Aussi les figures d’amoureux sont-elles ici moins des études de psychologie masculine que l’analyse très fine, très sincère, parfois naïve dans sa sincérité, des traits qui plaisent aux femmes. Le caractère masculin, les sentiments d’un amoureux ne sont jamais observés d’une façon bien profonde ; cependant, cette étude est précieuse puisqu’elle nous indique, à défaut de ce que sont les hommes, comment ils apparaissent aux yeux des femmes. Celles-ci, dont la vie se partage entre les soins du ménage et les occupations mondaines, qui vivent d’une vie étroite et monotone au milieu des domaines de leur famille, ont très peu d’activité physique. Pourrait-il en être autrement lorsque la mode impose aux jeunes personnes des cothurnes de satin et des fourreaux de mousseline ? Elles demandent surtout aux hommes de savoir distraire leurs longues heures d’oisiveté, de les escorter lorsqu’elles parcourent une allée de parc ou font quelque promenade à cheval. Les qualités qu’un homme peut posséder ne comptent pour rien ou presque rien en comparaison de ces services. C’est pourquoi un brave garçon, comme l’est en somme l’épais et simple Mr. Rushworth, est ouvertement méprisé, tandis qu’un élégant jeune homme, beau diseur, qui sait lire Cowper avec l’émotion qui convient, est excusé, justifié presque, dans ses pires erreurs.

Peut-être est-ce parce qu’à cette époque et dans le milieu de la « gentry » la sphère d’action des femmes est si éloignée du champ de l’activité masculine que l’auteur ne réussit pas à donner à aucun de ses héros