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CHAPITRE III


La peinture de la « gentry » (suite).
Les femmes, l’amour et le mariage.


Souriante et vive, parfois enveloppant sa grâce d’un voile de timidité ou d’une ombre de mélancolie, une jeune fille est toujours la figure centrale du roman de Jane Austen. Autour d’elle gravite un petit monde d’oisifs et d’inutiles, amis ou parents, prétendants sérieux ou ridicules, tandis que, à l’arrière-plan de la scène, on voit passer rapidement quelques figures — toujours intéressantes et parfois délicieusement comiques — indiquées d’un trait. Si tous les personnages créés par Jane Austen paraissent appartenir à la réalité parce que leurs gestes, leurs attitudes, leurs conversations ont toujours un accent de vérité qui fait naître en nous l’illusion de la vie elle-même, aucun, sauf l’héroïne, ne nous livre toute sa personnalité. Avec elle seule nous pénétrons, dans le secret d’une pensée. Nous l’entendons se parler à elle-même, elle nous initie aux souhaits qu’elle n’oserait formuler tout haut, aux jugements qu’elle porte sur ceux qui l’entourent, à ses fluctuations d’opinion, en un mot à tout ce qui, dans le domaine de la conscience, prépare l’action, la rend possible puis inévitable. Devant nous, Emma, Elizabeth ou Fanny, pense tout haut ; nous recevons ainsi l’involontaire confidence de choses que ne soupçonnera jamais personne, fût-ce même le meilleur ami de la jeune fille, celui qui deviendra plus tard le compagnon de son existence.

Vivant dans un milieu qui varie très légèrement, opposant aux influences extérieures la résistance d’un caractère et d’une personnalité différente, réagissant suivant la loi de son tempérament et le penchant de sa