Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/379

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nature, chaque héroïne nous montre une nouvelle attitude en face de la réalité. Elle possède une physionomie bien distincte, elle sait aux heures décisives donner aux problèmes de sa vie une solution originale et neuve. Cependant, nous trouvons en elle sous les variations individuelles les nuances de la personnalité, des traits communs, une sorte de parenté spirituelle qui la rapproche des autres figures juvéniles peintes par Jane Austen. C’est que, malgré les nuances très subtiles qui donnent à Emma Woodhouse ou à Anne Elliot un rang un peu plus élevé que celui d’Elizabeth Bennet ou d’Ellinor Dashwood, les héroïnes des six romans appartiennent à la même classe sociale, « la gentry ». Chose plus significative encore, elles appartiennent à la même famille morale, représentent et expriment le même idéal féminin. De leur temps, elles le sont à n’en pas douter, aussi bien par leurs atours que par leurs façons de penser, leurs préjugés et leurs scrupules. Elles portent avec une élégance juste et discrète la mode d’une certaine époque, — bien plus, d’une certaine année — non seulement sur leurs robes mais aussi dans leurs préférences intellectuelles ou sentimentales. En 1798, elles lisent Cowper et s’étonnent qu’on puisse écouter sans une émotion profonde les vers de leur poète favori, elles discutent les théories de la beauté pittoresque et du roman à la Radcliffe ; en 1814, elles vantent l’héroïsme des marins, parlent de « Mr. Scott » et de Lord Byron, hésitent à préférer « Marmion » à « La Dame du Lac » et peuvent citer les beautés du « Giaour » ou de « La Fiancée d’Abydos ». Mais si elles sont parées de grâces qui répondent au goût du jour, la fraîcheur de leur beauté, la droiture et la noblesse morale de leur âme, la force de leur caractère, sont des qualités de tous les temps. De ces mêmes qualités, l’imagination des poètes et des romanciers a toujours doté celles en qui s’est incarné l’idéal féminin de la race anglaise. Aussi ces héroïnes de Jane Austen — jeunes filles de condition moyenne dont la vie ne connaît ni tragiques aventures ni grande et douloureuse