Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/425

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l’expérience, ou du sens et de la valeur de l’expérience, qui appartiennent au génie, comment Jane Austen aurait-elle pu savoir que les Bennet, les Norris, les Bertram, les Elliot avaient, sous leur sottise ou dans leur insignifiance, des possibilités d’éveiller l’attention, de provoquer l’amusement et parfois de gagner la sympathie des lecteurs ? (comment encore, sans intuition, après avoir créé, d’après les maigres données de son expérience immédiate, des êtres vivant d’une vie si réelle, aurait-elle compris le secret d’âmes diverses, pénétré jusqu’aux sources cachées du caractère et de la personnalité ? Cette connaissance intuitive, cette divination de la réalité psychologique échappent dans ses origines à notre analyse; nous pouvons, du moins, les suivre dans leurs démarches et étudier leurs procédés. Ce que la notation psychologique comme l’observation du monde extérieur cherche ici à saisir, c’est la vérité immédiate; elle se fonde sur l’individuel et le particulier. La somme de vérité psychologique contenue dans la peinture d’une physionomie comme celle d’Elizabeth ou d’Emma est faite d’une multitude de détails, de notations lumineuses et rapides. Parce que son esprit n’a pas la puissance qui lui permettrait de rattacher chaque trait particulier à quelque loi ou à quelque grand principe, parce que, aussi, son bon sens et son goût répugnent à de vagues généralisations, Jane Austen nous donne dans ses romans des « instantanés » psychologiques dont elle nous laisse le soin de dégager la signification plus large. Tirer une conclusion de tel ou tel fait, ramener à une commune mesure les variétés infinies de l’expérience individuelle lui semble une tâche fastidieuse autant qu’inutile. Aux yeux de celle qui trouve dans le spectacle de la vie une source inépuisable d’observations, se détourner de ce spectacle pour moraliser sur la vie ou la nature humaine est une occupation qui convient surtout aux pédants et aux sots. Elle place dans la bouche d’une Mary Bennet ou d’une Mme Elton des réflexions sentencieuses ou abstraites : « L’orgueil, dit Mary Bennet, qui se flattait d’avoir l’esprit