Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/454

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son goût et blesse ses yeux habitués à de plus aimables objets. Aussi, l’œuvre de Jane Austen ne renferme pas d’autre page qui puisse faire pendant à cette scène d’intérieur. Si une fois — une seule — la logique des événements et des circonstances l’a obligée à regarder en face la laideur d’une maison où règnent la gêne et le désordre, elle se refusera, dans ses études de caractères, à jamais arrêter son regard sur la douleur ou sur la laideur morale. « Que d’autres plumes s’attachent aux images du malheur ou de la passion coupable. J’abandonne au plus vite ces sujets qui me sont odieux ». [1]

Elle ne se reconnaît cependant pas le droit, et ne le reconnaît à aucun romancier, de fausser la réalité. Les scrupules de l’opinion, les caprices de la mode ne peuvent l’entraîner à manquer à cette sincérité qu’elle juge indispensable à la production d’une œuvre d’art. Les héroïnes de roman du xviiie siècle, depuis la Clarissa de Fielding jusqu’à l’Emily de Mrs. Radcliffe, sont des créatures frêles et délicates qui, malgré leur faiblesse, supportent des secousses morales et des fatigues physiques capables d’accabler l’être le plus robuste. En dépit de la mode, au risque de s’exposer au reproche de vulgarité et d’inélégance, Jane Austen n’impose à ses héroïnes aucune épreuve au delà des forces humaines. Elle ne présente jamais à ses lecteurs une jeune personne, « souvent réduite par l’adversité à gagner son pain et celui de son père, toujours volée et dépouillée de son juste salaire, usée par la fatigue et les privations et, de temps en temps, mourant même de faim ! » [2] Elle applique le respect pour la vérité et la vraisemblance non seulement aux caractères et à l’action, mais à la partie descriptive de ses romans. Refusant d’accepter les théories nouvelles de la beauté pittoresque avec lesquelles le romantisme pénétrait à la fois dans le domaine de la peinture et dans celui

  1. Le Château de Mansfield. Chap. XXXXVIII.
  2. Plan of a novel according to hints from varions quarters. Memoir. Page 120.