Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/471

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Presque à l’égal de la justesse et de la clarté, Jane Austen apprécie la mesure et le rythme. C’est à son souci constant de donner à sa phrase une harmonieuse simplicité qu’elle fait sans doute allusion quand elle parle des peines infinies — so much labour — que lui coûtent ses romans. Mais elle ne relève, dans les pages que sa nièce lui a demandé de lire et de critiquer, que les « expressions trop familières, sans aucune distinction », car celles-ci lui semblent entre toutes choquantes. Elle fait observer à sa nièce qu’un homme du monde ne s’écrie pas « Que Dieu me bénisse ! », oubliant — et cet oubli nous fait sourire, — que son Emma, sous le coup d’une grande surprise ou d’une vive émotion se laisse aller à dire « Grand Dieu ! » et à prononcer ce même « Que Dieu me bénisse ! » dont les gens du monde devraient redouter le peu de distinction.

L’intuition artistique qui la fait s’effacer derrière ses personnages et décrire presque toujours d’une façon impersonnelle ce que ses héros ne peuvent nous apprendre eux-mêmes, lui fait négliger les effets de style, les recherches d’expression et de langage, les grâces de la forme que son sujet ne réclame pas. Par cela même que sa méthode de composition comporte très peu de narration et de passages purement descriptifs, ses romans ne contiennent pas de pages brillantes, de morceaux travaillés qui se détachent sur l’ensemble. Ses phrases au rythme souple et allongé se déroulent harmonieusement, sans rien de voulu ni d’affecté. Elles sont bien construites, non point tant parce que leur auteur s’applique à leur donner une structure élégante, mais parce que sa pensée, toujours claire, se revêt naturellement d’une forme limpide et juste. On compterait les quelques passages où l’on peut supposer que Jane Austen ait cherché un effet et employé volontairement, pour le produire, un de ces procédés de répétition ou d’allitération si fréquents chez les prosateurs comme chez les poètes anglais. [1]

  1. « It was a sweet view — sweet to the eye and mind. English verdure, English culture, English comfort, seen under a sun bright without being oppressive. » Emma. Chap. XLII.