Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/484

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chez un être dont la raison n’est pas faussée. La seule chose qu’il pourra lui demander, sera de s’associer au plaisir qu’il a pris lui-même au spectacle de la sottise, de la vanité, ou de l’ambition.

Mais l’humour qui s’adresse seulement à l’intelligence et ne vise qu’à divertir ne diminue pas seulement sa propre valeur au point de vue humain : son champ immédiat se trouve rétréci, limité aux petits côtés de la vanité ou de la sottise, aux travers, aux manies, à tout ce qui appartient à la surface de la personnalité, à l’être extérieur et aux relations, non point tant des hommes entre eux, que des différents membres d’une même société et d’un même « clan » social. Quelle que soit la pauvreté de la sensibilité, la raison s’oppose à ce qu’aucun de nous reste indifférent devant le vice ou le mal. Pour que l’on puisse sourire de quelque trait de l’absurdité où parfois tombent les hommes, il faut que ce trait n’entraîne pas de conséquences graves, et ne soit, au regard de l’ordre et de la logique universels, qu’un accident isolé et de peu d’importance.

Aussi, l’humour qui apparaît à chaque page dans six études de la vie de province, s’exerce-t-il sur des objets auxquels la plupart des humoristes ne sauraient accorder une attention constante. C’est dans les menus incidents de vies douces et monotones, dans les petites conversations qu’on échange au château ou au presbytère sur les qualités et les défauts des voisins ou des amis, que Jane Austen trouve invariablement l’emploi de son sens du ridicule. Sa vision du réel est si différente de celle de ses personnages qu’il ne saurait d’ailleurs en être autrement. De là cette création perpétuelle du point de vue humoristique, cette ambiance d’ironie qui donne à son œuvre, pourtant si délicate et si dénuée d’amertume, une ressemblance lointaine, mais néanmoins indiscutable, avec celle de Swift dans les « Voyages de Gulliver ». Comme Gulliver suit d’un œil amusé les occupations des Lilliputiens et prend plaisir « à voir un cuisinier plumer une alouette plus petite