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littéraire ou spirituelle — œuvre isolée dans la production littéraire de la fin du xviiie siècle et de l’aube du xixe — ne contient-il rien de ce qu’une génération transmet aux générations suivantes comme le legs précieux de sa sensibilité et de son expérience collective.

La première et magnifique floraison du romantisme anglais au début du xixe siècle avait eu pour résultat d’enrichir la sensibilité et de la rendre plus profonde. Désormais, le roman ne se contente plus d’étudier le mécanisme ou d’observer le jeu de la raison : il participe plus largement et plus puissamment à la vie. Romanciers et psychologues s’intéressent à toutes les manifestations de l’activité extérieure comme à toutes les formes de la vie spirituelle en même temps que, dépassant bientôt l’exaltation égoïste, leur sensibilité s’épanouit en intelligente et généreuse sympathie. Dans les quelques décades qui séparent Jane Austen des romancières de l’ère Victorienne, un siècle de transformations morales et matérielles est contenu tout entier. Charlotte Brontë, Mrs. Gaskell et George Eliot apportent une âme nouvelle à l’étude d’un monde nouveau. Pour elles — nous le voyons dans leurs romans et Charlotte Brontë le dit dans ses lettres avec la plus entière franchise — l’œuvre de Miss Austen est une œuvre, admirable sans doute, mais dont elles ne sauraient s’inspirer.

Trop de problèmes nouveaux, trop d’horizons jusqu’alors ignorés s’offrent à elles, pour qu’elles puissent se borner à peindre avec la fidélité la plus exacte, — Chinese fidelity — , de petites scènes d’intérieur. Le calme souriant, la sérénité parfaite de Miss Austen sont incompréhensibles et presque odieux à Charlotte Brontë dont toute l’œuvre n’est que révolte et passion, tandis que l’aristocratique et dédaigneuse ignorance des misères sociales dans laquelle se comptait l’auteur d’« Emma » s’oppose aussi bien à la large et généreuse sympathie de George Elliot devant la souffrance qu’à la clairvoyance de Mrs. Gaskell. De plus, le roman féminin tel que l’avaient conçu Miss Burney et Jane Austen tend à perdre, chez les grandes romancières du xixe siècle, son caractère spécial. De roman féminin, consacré à la peinture de la vie féminine et jugeant toutes choses à un point de vue exclusivement féminin, il redevient simplement le roman dont une femme est l’auteur. La sensibilité féminine s’exprime à chacune de ses pages, mais il s’affranchit des restrictions que l’éducation et les