Page:Annales de l universite de lyon nouvelle serie II 30 31 32 1915.djvu/509

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conventions mondaines imposaient à une « dame » — a lady — à la fin du xviiie siècle. La vie féminine n’est plus enfermée dans les murs d’un salon ou les limites d’un parc, comme elle l’était dans « Evelina » et dans « Orgueil et Parti pris ».

L’évolution sociale aussi bien que morale qui s’est accomplie, imprime un caractère nouveau à celui des romans écrits au milieu du xixe siècle où l’on retrouve le plus clairement la trace de l’iniluence de Jane Austen. Ce roman est « Cranford », un des meilleurs ouvrages, peut-être le chef-d’œuvre, de Mrs. Gaskell. Par son sujet autant que par sa forme et son atmosphère, « Cranford », peinture de la vie féminine, se rattache au roman de Jane Austen. Celles qui vivent au milieu du xixe siècle dans une petite ville « tombée aux mains des Amazones », ont une existence aussi étroite, aussi monotone, aussi entièrement consacrée à d’inutiles occupations que les dames de la société de Highbury ; la douce puérilité de Miss Matty Jenkins rappelle la simplicité de Miss Bates et son intarissable bavardage. Mais une chose a changé qui est capitale. Signe de l’esprit nouveau et des conditions nouvelles, le milieu étudié dans deux romans reliés par une filiation aussi évidente que « Emma » et « Cranford », n’est plus envisagé sous le même aspect. Jane Austen appartient à la « gentry » qu’elle décrit et étudie du dedans, tandis que Mrs. Gaskell, pour bien peindre Cranford et pour apprécier sa valeur au point de vue social, peint du dehors le cercle de Miss Jenkins et de la « gentry » de la petite ville. Aux yeux de Jane Austen, qui accepte joyeusement et sans restriction l’idéal d’aristocratique isolement de sa classe, l’Angleterre que l’industrialisme commence à modifier et va bientôt transformer profondément, est une contrée dont elle se plaît à tout ignorer. Mrs. Elton, dans « Emma » est une femme vulgaire, mais peut-on s’attendre à autre chose, pense Emma Woodhouse — exprimant ici la pensée de Jane Austen — « de la part d’une femme qui passe, il est vrai, une partie de l’hiver à Bath, mais qui est née et a été élevée à Bristol, à Bristol même. » [1]

L’existence des villes commerçantes, qui offusque les préjugés aristocratiques de la « gentry » en 1815, est, au contraire, devenue en 1853 une des grandes réalités de la vie nationale

  1. Emma. Chap. XXII.