Page:Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, tome 4.djvu/79

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suivoit quelquefois son penchant, malgré les leçons de sa mère,

Instruit de mon projet, il accourut, non pour y entrer, ou pour m’en faire changer, mais pour me faire ses [64] adieux et jeter, par de petits présens, quelque agrément dans ma fuite, car mes propres ressources ne pouvoient me mener fort loin ; il me donna, entre autres, une petite épée dont j’étois fort épris et que j’ai portée jusqu’à Turin, où elle me fut enlevée, comme il sera dit ci- après. Plus j’ai réfléchi depuis à la manière dont il se conduisit avec moi dans ce moment critique, plus je me suis persuadé qu’il suivit les instructions de sa mère et peut-être de son père ; car il n’est pas possible que, de lui-même, il n’eût fait quelque effort pour me retenir, ou qu’il n’eût été tenté de me suivre, comme je l’y invitois : mais point. Il m’encouragea dans mon dessein plustôt qu’il ne m’en détourna ; puis, quand il me vit bien résolu, il me quitta sans beaucoup de larmes. Nous ne nous sommes jamais écrit ni revus ; c’est dommage ; c’étoit un garçon essentiellement bon : nous étions faits pour nous aimer.

Avant de m’abandonner à la fatalité de ma destinée, qu’on me permette de tourner un moment les yeux sur celle qui m’attendoit naturellement, si je fusse tombé dans les mains d’un meilleur maître, Rien n’étoit plus convenable à mon humeur, rien n’étoit plus propre à me rendre heureux que l’état tranquille et peu pénible d’un bon artisan dans certaines classes, telles qu’est à Genève celle des Graveurs. Cet état, [65] assez lucratif pour donner une subsistance aisée et pas assez pour mener à la fortune, eût borné mon ambition tout le reste de mes jours, et me laissant un loisir honnête pour cul-