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annales de la société j. j. rousseau

Ce tableau des relations de Voltaire avec J. J. Rousseau est faux dans l’ensemble, parce qu’il prête à Rousseau une conduite haineuse, concertée et machiavélique, et il présente de nombreuses erreurs dans le détail de ses trente-trois pages. Ainsi, après avoir redit après tant d’autres, à la suite de Marmontel, que c’est Diderot qui souffla à son ami l’idée nouvelle du Discours sur les sciences et les arts, M. Georg Brandès ajoute (p. 46) : « Cette opinion poussa Rousseau à devenir ce qu’il devint, c’est par elle que ce plébéien à l’âme révolutionnaire et religieuse prit conscience de son être. » Une vie et une œuvre dont l’action fut si puissante qu’elle dure encore aujourd’hui, seraient donc fondées, aux yeux de l’illustre critique danois, sur une idée d’emprunt ?

Rousseau nous est présenté, en 1753, comme « un pauvre homme maladif, souffrant d’artério-sclérose, d’un mal de vessie et d’autres maux » (p. 46) ; Thérèse a été une servante de cabaret (p. 48) ; l’émotion soulevée dans Genève par la Lettre sur les spectacles obligea Voltaire à acheter la résidence de Ferney (p. 57) ; la Nouvelle Héloïse, l’Emile et le Contrat social ont paru tous trois en 1761 (p. 65) ; en dénonçant Voltaire comme l’auteur du Sermon des cinquantes, Rousseau l’exposait sciemment à de grands dangers (p. 71).

M. Georg Brandès tiendrait peut-être pour vétilles ces allégations hasardeuses, jetées dans une publication de librairie industrielle, mais ce qui engage plus sérieusement un nom aussi considérable que le sien, c’est la thèse qui doit faire l’unité de ce petit livre : Rousseau, depuis l’éveil de sa personnalité intellectuelle, a eu Voltaire devant les yeux (p. 55) ; après l’avoir imité, harcelé, il a voulu le provoquer — exemple : la Lettre à d’Alembert — à un combat public, auquel Voltaire, par indulgence, puis par dédain, et aussi pour sauvegarder aux yeux du public l’harmonie entre philosophes, s’est toujours dérobé. Rousseau enviait la gloire et les richesses de Voltaire cette jalousie prend le masque de la vertu dans l’attaque contre le théâtre à Genève », et le masque de la religion dans « l’attaque contre l’ode sur Lisbonne ». M. Georg Brandès ne voit donc qu’une œuvre d’hypocrisie dans la Lettre sur la Providence, comme dans la Lettre sur les spectacles S’il est difficile de présenter les faits avec plus de légèreté et d’inexactitude, il serait difficile aussi de se montrer moins clairvoyant dans l’interprétation des caractères et des sentiments. Que M. Georg Brandès se trompe dans les faits, il semble en avoir pris d’avance son parti assez allégrement, mais que l’historien du romantisme européen appuie de son autorité des jugements inventés par une critique ignorante et par une science de parti-