Page:Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, tome 8.djvu/10

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du langage humain, même employé par les plus grands esprits, nous facilite le petit jeu qui consiste à choquer formules contre formules, et nous permet de réussir, en les interprétant, à les rendre incompatibles.

L’exagération passionnée des attaques nous met en défiance, et au premier examen nous y apercevons de graves insuffisances de méthode. On réduit chaque ouvrage de Rousseau à une formule simple et absolue. Le Discours sur l’inégalité, c’est l’individualisme antisocial. Le Contrat, c’est le socialisme autoritaire. La Nouvelle Héloïse, c’est le régime patriarcal aristocratique, le Contrat, c’est le régime démocratique égalitaire. Ce petit travail fait, sans plus s’occuper des œuvres, on raisonne sur les formules qu’on leur a substituées, et par une opération de logique pure, on y fait sortir des contradictions. Mais n’y a-t-il rien de plus, ou d’autre, dans chaque ouvrage que dans la formule qu’on traite comme son équivalent exact ?

Ou bien on travaille sur les concepts abstraits qui correspondent aux expressions de Rousseau, et l’on ne cherche pas à leur substituer les faits concrets ou les actions particulières dont elles sont le signe général. On transforme ainsi en absurdité saugrenue une remarque de sens commun[1].

  1. Rousseau soutient dans son IIe Dialogue, dit M. Espinas (p. 459), « que si l’homme veut obéir à ce précepte essentiel de la morale — de ne se mettre jamais en situation de pouvoir trouver son avantage dans le mal d’autrui — il doit se retirer tout à fait de la société. Ainsi l’idéal de la moralité est la suppression des rapports sociaux ! Le précepte moral par excellence est destructif de tout l’ordre social. Nous sommes ici en présence d’une pensée qui glisse dans l’incohérence pathologique. » Mais ne tombe-t-il pas sous le sens commun que tant que la société et l’homme seront imparfaits, tant qu’il y aura des inégalités extrêmes, une exploitation de l’homme par l’homme, quiconque vivra dans le société participera à l’injustice universelle. Le rentier tire son