Page:Annales de la société Jean-Jacques Rousseau, tome 8.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

gination fiévreuse, vient un passage judicieux et calme où la nécessité de la propriété est posée, où elle est le terme d’une lente et insensible évolution[1] ; et plus loin une distinction de tendance modérée est faite entre la propriété légitime des objets personnels, instruments de travail ou de jouissance, et l’appropriation illégitime de la terre. Nous voici donc repassés du domaine de l’absolu et du rêve dans le domaine du relatif et du réel.

Si Rousseau trouve à jamais déplorable la disparition de l’état de nature, on n’a pas le droit d’en conclure qu’il veuille y ramener l’humanité actuelle : il a dit le contraire implicitement et explicitement.

Si nous devons nous figurer l’homme de la nature d’après certains animaux anthropoformes, d’après l’orang-outangs[2], pouvons-nous supposer que Rousseau veuille sérieusement nous faire rétrograder à ce type ? N’y a-t-il pas déjà dans cette simple évocation de l’orang-outang le germe du passage du Contrat social où Rousseau accepte le long travail de civilisation « qui, d’un animal stupide et borné, fait un être intelligent et un homme ?[3] »

N’est-il pas visible que l’hypothèse préhistorique de l’état de nature n’est pour Rousseau qu’une nécessité intellectuelle où il va pour atteindre l’origine de l’inégalité, mais où son cœur n’est pas vraiment intéressé ?

  1. Au fond, en niant que la société soit naturelle, Rousseau veut dire qu’elle ne résulte pas de la nature interne de l’homme, mais d’une nécessité externe. Ce sont les circonstances qui ont fait l’homme civil. Il y a là une sorte de matérialisme sociologique qui donne tout à l’action du milieu.
  2. Note 10.
  3. I, viii