Page:Annales de mathématiques pures et appliquées, 1821-1822, Tome 12.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
329
DES SCIENCES.

Mais les nuances de nos idées sont si nombreuses et si fugitives que, même dans l’état de civilisation le moins avancé, les signes naturels ne pourraient suffire à les exprimer toutes sans confusion ; et d’ailleurs comment exprimer autrement que par des signes artificiels tant d’idées dont l’objet ne donne aucune prise aux sens et ne peut être offert à aucun d’eux. Toutefois, il est probable que l’usage des signes naturels a précédé celui de tous les autres. On peut conjecturer, avec vraisemblance, que, soit par la négligence de ceux qui les employaient, soit par le désir de rendre la langue plus concise, ces signes se seront graduellement altérés ; qu’en voyant que les altérations qu’ils avaient subi n’empêchaient pourtant pas d’en retirer les mêmes services, on aura conçu l’idée d’employer, concurremment avec eux, d’autres signes de pure institution ; et voilà comment, sans recourir à aucune ressource surhumaine, on peut concevoir la formation et le perfectionnement progressif de toutes nos langues. Il est même quelques érudits qui pensent qu’il n’est aucun de nos signes qui soit de pure institution, et qui ont même essayé d’expliquer la génération de la plupart d’entre eux, par une suite d’altérations qu’ont subi des signes tout-à-fait naturels[1]. Quoi qu’il en soit, les signes de nos langues sont présentement, presque en totalité, des signes de pure convention.

Si les conventions qui ont donné naissance à ces sortes de signes avaient pu être à la fois universelles et durables, une seule langue nous suffirait aujourd’hui pour nous mettre en relation non seulement avec nos contemporains, mais même avec ceux qui ont écrit dans les temps les plus éloignés de nous ; mais, d’une part, l’isolement où ont vécu long-temps les uns des autres les différens peuples de la terre et la diversité de leurs mœurs, et d’une autre les altérations progressives que ces signes ont éprouvées, n’ont pas permis qu’il en

  1. Voyez, en particulier, le Monde primitif de Court de Gébelin.
    J. D. G.