Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 12-13.djvu/287

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dispendieuse, aussi les gens de basse classe se contentent-ils de transporter leurs morts sur quelque colline isolée et de les y laisser exposés en pâture aux animaux sauvages.

Ces pratiques qui, pour un Européen, constitueraient une profanation révoltante, s’expliquent chez les Tibétains moins par leur état de demie barbarie que par la croyance que l’âme ou l’esprit du mort ne peut se réincarner tant que les éléments matériels du corps ne sont pas dissous et rendus à la masse des atomes mondiaux. Ce stage d’attente, qu’on nomme Bardo[1], est tenu pour extrêmement douloureux. Sa durée normale obligatoire ne dépasse pas quarante-neuf jours quand les rites funéraires ont été régulièrement accomplis ; mais s’ils ont été négligés, les morts errants autour de la terre reviennent tourmenter leurs parents impies, auxquels ils se manifestent en rêve sous l’aspect de morceaux de chair informes et sanguinolents. Hâter la destruction du corps matériel est donc au premier chef une œuvre pie à laquelle aucun Tibétain n’oserait se soustraire.

6. Culte populaire. Sorcellerie. Divination. — Le Bouddhisme primitif (c’est-à-dire au temps de Çâkyamouni et de ses successeurs directs), doctrine essentiellement philosophique susceptible d’être comprise et mise en pratique par un petit nombre d’esprits éclairés, surtout blasés et dégoûtés des misères du monde, préoccupés avant tout de se soustraire à l’obligation fatale de la renaissance, tenait en médiocre estime les fidèles laïques entachés du tanha ou attachement aux instincts et plaisirs matériels. Il ne les admettait pas dans l’Église (sangha) constituée par les seuls religieux, se contentant de leur imposer le minimum des devoirs moraux prescrits par le Bouddha, et leur donnant pour rôle unique la charge d’entretenir par leurs dons et leurs aumônes la communauté des saints. En récompense de

  1. Bar-rdo.