Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 12-13.djvu/72

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matières spirituelles, laisse la religion, avec toutes ses formules et ses cérémonies, à ceux qui, par devoir et par habitude, sont, dès leur jeunesse, attachés à ces pratiques et à ces préjugés. C’est là sans doute ce qui fait que beaucoup de Boutaniens croient pouvoir se dispenser de se laver et de boire de l’eau[1]. » Malheureusement pour cette excuse si bien trouvée, la propreté ne règne guère plus dans les monastères tibétains que chez les particuliers, à ce point que les objets qui en sortent, tels que les amulettes et les formules talismaniques, emportent avec eux et gardent, d’une façon indélébile, l’odeur atroce de graisse rance dont est saturée l’atmosphère des couvents.

Une autre imputation grave formulée contre les Tibétains, est l’accusation d’immoralité. On leur reproche, — outre la polygamie et la polyandrie, dont nous parlerons tout à l’heure à propos du mariage, — un libertinage effréné allant jusqu’au prêt de la femme mariée par son mari : « Au Thibet, on se prête sa femme comme on se prête une paire de bottes ou un couteau ; rien ne s’oppose à ce qu’il en soit ainsi ; il y a peu d’exceptions, et les femmes n’y voient pas pour elles la moindre honte[2]. » De même, aucune surveillance n’existerait de la conduite des filles ; celles qui ont été mères avant le mariage étant, au contraire, plus recherchées que les autres, en raison de la certitude de leur fécondité[3]. Ces accusations ne sont pas nouvelles, la seconde du moins, et il y a beau temps que Marco Polo s’en est fait l’écho : « Nul homme de celle contrée pour riens du monde ne prendroit à femme une garce pucelle ; et dient que elles ne vallent riens, se elles ne sont usées et coustumées de gésir avec les hommes. » Mais aussi il affirme, contrairement aux allégations de notre savant mis-

  1. S. Turner, Ambassade au Tibet, t. I, p. 136.
  2. C.-H. Desgodins, Mission du Thibet, p. 225.
  3. Id., id., p. 225.