Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 12-13.djvu/74

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rapport elle est bien libre, mais elle n’en est pas moins l’esclave et le souffre-douleurs d’un ou de plusieurs maris ; elle est achetée comme une marchandise sans qu’on lui demande son consentement ; par là elle a le droit à devenir une espèce de chef domestique, mais elle est obligée de se soumettre à toutes les volontés, aux caprices et aux passions brutales de son mari. On regarde comme des époux très vertueux ceux qui se font la promesse de n’avoir jamais de rapports qu’ensemble ; mais cette promesse est très rare. Dans tous les pays païens, la femme est méprisée comme un être inférieur à l’homme ; les Thibétains ont même pour la désigner une expression qui peut se traduire par être vil[1]. »

Voilà, certes, un tableau convenablement poussé au noir et bien fait pour compléter un éloquent réquisitoire contre les mœurs tibétaines. Pauvres Tibétains ! dont le plus grand crime est peut-être leur attachement à leur religion et à leurs coutumes nationales, et leur résistance énergique à la prédication du christianisme ! Au milieu de toutes ces contradictions, on arrive à se demander, sans trop oser se prononcer, s’ils sont réellement des monstres indignes de tout intérêt, ou bien les victimes d’une calomnie séculaire. Et même, seraient-ils aussi gangrenés qu’on nous les représente, n’auraient-ils pas une excuse dans l’exemple de l’hypocrisie, de la dépravation et de la débauche qui règnent dans leurs couvents, pieux asiles où fleurissent et se propagent, comme plantes vénéneuses en serre chaude, ces deux fléaux de l’humanité, le célibat et la mendicité.

La mendicité est la plaie du Tibet. Il est juste de dire qu’elle est fortement encouragée par le caractère compatissant et charitable du Tibétain de toutes les classes, et à cet égard sa réputation est si bien établie, que de tous les pays voisins affluent sur son territoire miséreux et fainéants, moines bouddhistes, sanyasis indous et fakirs musulmans.

  1. C.-H. Desgodins, Mission du Thibet, p. 226.