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Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 22-23.djvu/1016

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HISTOIRE DES IDÉES THÉOSOPHIQUES DANS L’INDE

de frais une haute réputation de sainteté et de puissance. Que la religion qui n’a pas produit de semblables exploiteurs de la sottise humaine jette au yogisme la première pierre ! Il faut dire pourtant que, sauf en Chine peut-être, on ne trouve nulle part autant de jongleurs et de mystificateurs que dans l’Inde actuelle, parmi les adeptes du yoga.

Ne parlons aussi que pour mémoire de ces gens qui se font un mérite, auprès de leurs dieux et des badauds, des contorsions du corps ou des pénitences cruelles qu’ils s’imposent. Il y en a qui restent les bras levés si longtemps que leurs membres ankylosés ne peuvent plus être ramenés à leur position naturelle ; d’autres tiennent la main fermée, et leurs ongles parfois se fraient un chemin à travers la paume ou les os du métacarpe ; d’autres encore se rendent en rampant à de lointains sanctuaires et mesurent toute la longueur de la route de leur corps étendu dans la poussière. Je passe sur les jeûnes excessifs, les mutilations, les stations prolongées dans des solitudes qui ne sont pas toujours sans danger. S’il serait difficile de trouver dans les livres autorisés des passages qui prescrivent toutes ces folies, il faut reconnaître cependant qu’elles sont loin d’être nouvelles dans l’Inde. Les épopées sont remplies d’exemples d’un ascétisme tout aussi héroïque et obstiné. Le Mahābhārata ne raconte-t-il pas que la déesse de la mort, ne voulant pas obéir à Prajāpati, qui lui avait ordonné d’anéantir le genre humain, se tint sur un seul pied pendant quinze billions d’années, ne vécut que d’air pendant dix mille billions d’années, pratiqua le vœu du silence pendant huit mille ans, en restant aussi immobile qu’une souche ; enfin demeura cent billions d’années sur la cime de l’Himalaya, dressée sur la pointe des pieds ? Une telle grandeur d’âme finit par toucher Prajāpati, qui retira l’ordre qu’il avait donné[1]. Mais ces récits eux-mêmes prouvent que quelque nom qu’on donne à ces terribles patients, djoghis, sâdhus, sannyāsins ou faquirs, leur ascendance ne doit pas être

  1. Livre XII, v. 9200, sqq.