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la théosophie brahmanique

des causes matérielles » (S. S. I, 115, sqq.). Si le produit n’était pas déjà dans la cause, on ne voit pas pourquoi tout ne pourrait pas tout produire[1]. « De l’argile ne peuvent naître que des pots ; de fils ne peuvent naître que des étoffes. Cette limitation ne s’explique que si les produits sont éternellement réels. Car si le produit n’existe pas avant qu’il se manifeste dans la cause, on ne voit pas de signe en vertu duquel une cause ne peut produire que tel objet… Ce signe en vertu duquel une cause ne peut produire qu’un effet déterminé, c’est l’état à venir du produit » (Vijñ., p. 54). Si l’on admettait une infraction à ce qui doit être une règle universelle, il n’y aurait plus rien sur quoi l’on pût faire fond. (Anir. ad S. S. V, 127).

Dire qu’une chose est, c’est dire qu’elle est substantielle[2]. Affirmer la réalité des choses, alors qu’à l’état subtil elles sont en puissance dans leur cause, c’est donc leur attribuer, à ce moment-là aussi, une substance. « Entre la cause et le produit, il y a un lien, et un lien n’est possible qu’entre deux choses qui existent » (Anir. ad S. S. I, 115). La substance subtile n’est donc point un être de raison. Il est vrai qu’elle n’est pas perceptible aux sens grossiers de l’homme ordinaire. Mais l’homme ne perçoit pas non plus les objets trop petits ; son impuissance s’explique de la même manière dans l’un et l’autre cas. Qu’il exalte sa puissance de vision, par l’extase ou par des mérites transcendants, il percevra le subtil ; et ces êtres que nous ne connaissons qu’à l’état manifesté, il les connaîtra avant leur manifestation, et après leur retour à l’état subtil.

Nous touchons ici à l’un des points essentiels de la doctrine. Pour le Sānkhya, tout ce qui est, se trouve être de quelque façon cognoscible. À l’évolution de l’objet à connaître correspond, dans le sujet qui connaît, une évolution parallèle ; la connaissance de l’un par l’autre n’est possible que par la conformité, à l’état subtil, de l’organisme qui est

  1. Voir Kār. 9. — Ferre omnes omnia possent, Lucr. 1, 168.
  2. Dravya-rûpa . Vijñ. p. 30.