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Page:Annales du Musée Guimet, Bibliothèque d’études, tome 22-23.djvu/970

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HISTOIRE DES IDÉES THÉOSOPHIQUES DANS L’INDE

ment au-dessus des démarcations sociales[1]. Et c’est précisément parce qu’il ne connaît plus les devoirs qui découlent des différences de caste qu’il ne saurait être pratiqué par ceux qui sont encore engagés dans la vie séculière. Un chef de famille doit obéir à des règles qui sont incompatibles avec l’ascétisme. « Quand une âme incorporée est affranchie de tout lien, le yoga mystérieux, excellent, infini, parfait, se produit pour elle après six mois de méditation ; mais si, affligée par la passion et les ténèbres, elle reste attachée à femme, fils et parents, quelque instruite qu’elle soit, elle n’arrive jamais au but » (Maitr. Up. VI, 28).

Les obstacles viennent de l’homme même, d’autant plus redoutables qu’ils sont inhérents à sa nature et qu’ils naissent sans cesse du jeu de la vie individuelle. On les appelle les « misères », kleśa. Ce sont l’ignorance, la conscience de soi, l’attachement, la répulsion, le désir de vivre[2]. L’ignorance consiste à prendre pour éternel ce qui est impermanent, pour pur ce qui est impur, pour agréable ce qui est douloureux, pour le moi ce qui est le non-moi (Y. S. II, 5). — La conscience de soi[3] confond le moi et le non-moi dans leurs qualités et dans leur essence propre ; elle impute au moi des fonctions qui, en réalité, sont celles de la prakṛti (ib. II, 6). — « L’attachement et la répulsion sont trop bien connus pour qu’il soit nécessaire de les définir » (Y. S. S., p. 31). — « Le désir de vivre, — qu’on trouve même chez les hommes éclairés, — c’est la peur de la mort » (ib., p. 31). La plus terrible de ces misères, c’est l’igno-

  1. Cela n’enlève pas au Yoga son caractère d’enseignement ésotérique : « Le yogin qui désire le succès doit garder tout-à-fait secrète la science du Haṭha-yoga ; cachée, elle est efficace ; vulgarisée, elle est vaine » (H. Y. Pr. I, 11). Mais ce sont exclusivement des conditions spirituelles et morales qui font qu’on est qualifié (adhikārin).
  2. avidyā, asmitā, rāga, dveṣa, abhiniveśa. — Nous trouvons dans le Yoga le même pessimisme théorique que dans le Sānkhya : « Pour celui qui sait distinguer (l’éternel du transitoire), tout est misère, à cause de la cessation, de l’anxiété, des impressions laissées par les souffrances antérieures, et des contrastes » (Y. S. II, 15).
  3. Littéralement, le fait de dire ; « Je suis. »