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LE MYTHE DE VÉNUS

qué que une révolution toute semblable dans la société divine imaginée par les Grecs.

Ces derniers traits de l’histoire de Dioné ne sont point sans importance. Si pour quelques-uns elle est devenue une divinité marine, si pour d’autres elle a fini par présider à la grossesse et à l’enfantement, son identification avec Aphrodite était toute préparée.

Mais pour le chantre de l’Iliade, auquel nous devons revenir, Dioné et Zeus sont le père et la mère d’Aphrodite. Celle-ci est issue directement du couple divin qui occupe le plus haut rang dans la hiérarchie céleste. Ce qui revient à dire que la beauté, comme la sagesse (Athéné), comme les biens de la terre (Déméter), comme le soleil (Phœbus-Apollon), comme tout ce qui est bon, utile, charmant dans le monde, vient en droite ligne de la divinité. Mythe vraiment grec, où l’on surprend le symbolisme si gracieux et en même temps si élevé qui succéda en Grèce au fétichisme des premiers âges ; mythe digne d’une race d’artistes et de penseurs qui devait produire Phidias et Platon.

Rien dans Homère n’annonce même de loin l’autre mythe impur et grossier par lequel Hésiode explique la naissance de la déesse. Cette grossièreté, que la poésie s’efforce vainement à épurer et à rendre acceptable, suffirait à elle seule pour trahir une origine étrangère et barbare.


III

Voici cet étrange récit. Kronos a mutilé son père ; d’un fer tranchant il lui a enlevé les organes de la virilité [1]. Il jette dans la mer cette chair sanglante ; autour s’amasse l’écume et une jeune fille en sort.

« Kronos jeta le lambeau sanglant dans la vaste mer. Il flotta longtemps à la surface des eaux. Une écume blanche se formait autour delà chair immortelle, et de cette écume blanche une jeune fille naquit. Elle aborda d’abord à la divine Cythère, et de là elle arriva à File de Cypre. Alors la belle

  1. Nous avons ailleurs expliqué ce mythe. Quelques idées sur la Théogonie d’Hésiode. (Mémoires de l’Académie des Belles-Lettres, Sciences et Arts de Lyon, 1879).